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n’était pas toujours non plus très enviable. Qu’on songe qu’au XVIe siècle, selon certaines coutumes, celle de Paris par exemple, quand un seigneur saisissait le fief de son vassal, il était, si ce fief était affermé, en droit de mettre la main sur tous les fruits. On trouve encore plus tard beaucoup d’autres clauses restrictives, comme l’interdiction de contracter des baux de plus de neuf ans, la faculté laissée aux bénéficiaires de ne pas observer les baux à ferme faits par leurs prédécesseurs, outre des impôts fort lourds rejetés sur le fermier, comme celui de la taille. Pendant ce temps-là le fermage recevait toutes les garanties possibles en Angleterre et s’emparait du sol anglais à poste fixe. Il n’y aurait que trop de parti à tirer d’un si complet et si violent contraste. Le fermier expulsé soudainement avait droit à des dommages-intérêts. On allait, sous le règne de Henri VII, jusqu’à imaginer l’action d’expulsion, par lequel le tenancier pouvait même récupérer la possession. On a pu soutenir que cette législation protectrice du fermage, comme elle l’était de la propriété, avait valu mieux pour la Grande-Bretagne et pour son agriculture que toutes les primes et mesures protectrices. Ajoutez la considération qui naît de l’influence politique. Le bail à vie de la valeur de 90 schellings de rente annuelle était réputé franche-tenure (free-hold), et donnait au preneur du bail le droit de voter pour l’élection d’un membre du parlement; et, comme il y avait une grande partie de la classe des yeomen qui avait des franches-tenures, la classe entière se trouvait traitée avec égard par les propriétaires du sol. Les longs et même les très longs baux étaient dans l’usage, et, de plus, assurés par la loi qui les maintenait contre tous les changemens de main de la propriété. Rien de tout cela ne ressemble, on doit l’avouer, à ce qui se passait en France, faut-il même ajoutera ce qui s’y passe aujourd’hui?

Il serait donc peu juste de voir dans l’extraordinaire prédominance du métayage en France avant 1789 uniquement l’effet de ses propres mérites. Avouons que la situation plus d’une fois misérable de l’agriculture n’aidait pas à l’évolution dans le sens du fermage à rente en argent. Elle aurait pu s’opérer pourtant, aux bonnes époques des règnes de Louis XV et de Louis XVI, avec plus d’étendue, mais trop d’obstacles s’y opposent dans les tristes périodes qui terminent le siècle de Louis XIV ou qui précèdent la révolution. Comment aurait-il songé au fermage, ce métayer réduit à ses bras et à qui le propriétaire, obligé d’une part d’avancer les bestiaux et les semences en totalité, avançait en outre de quoi le nourrir jusqu’à la prochaine récolte ? Il est certain qu’en face de ces métayers besogneux, endettés, les fermiers ne faisaient souvent pas meilleure figure. Le bail à rente fixe était loin d’avoir ordinairement