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le droit de marché en Picardie. On pouvait dire du métayer qui avait gravi ce degré supérieur qu’il avait conquis ses grades, comme le soldat qui devient officier par un avancement régulier. Ses campagnes, à lui, c’étaient ses durs travaux, ses patientes épargnes. Son titre était son intelligence, son capital. Aucun propriétaire n’aurait consenti à agréer, comme fermier, un misérable, une brute. Il était enjoint à la propriété, par son intérêt même, de choisir parmi l’élite. Les anciens cadres de l’exploitation à moitié fruits, se maintenaient d’ailleurs par la tradition, par la coutume, par la loi même. Le métayage à bail emphytéotique en retenait un grand nombre dans ses liens. Enfin, le mouvement ascendant vers la propriété et vers le fermage devait être nécessairement ralenti dans les périodes qui présentent un caractère incertain et précaire et reculer aux époques désastreuses de notre histoire. Les guerres anglaises et les guerres de religion interrompent son cours, qui reprend ensuite avec plus de force à mesure que les causes qui le favorisent dans l’état de la société et de la richesse acquièrent elles-mêmes une nouvelle vigueur. L’argent, devenu plus commun, accroît le bail à rente fixe; la suppression de certaines entraves législatives tend aussi à augmenter le nombre des propriétaires, d’ailleurs par le développement du capital. Le fermage suit, d’ailleurs, pour d’autres raisons spéciales, les mêmes destinées progressives. La terre cesse de tenir une place exclusive dans l’ambition des hommes; d’autres sources de considération et de pouvoir s’offrent à la noblesse dans les hautes fonctions militaires, dans l’administration et dans les emplois de cour. La bourgeoisie enrichie, qui participait à la possession de la terre, n’y est pas non plus enchaînée par des liens qui ne puissent être relâchés, quand l’industrie et le négoce l’appellent dans les villes, et il devient infiniment commode, au XVIe et au XVIIe siècle, de s’en remettre de la gestion de ses domaines à un homme spécial, intéressé lui-même à la plus-value des terres par les bénéfices recueillis en excédent de la rente à acquitter. Les avantages d’un tel système devaient se manifester particulièrement dans les vastes domaines qui réclament les avances de la grande culture. Aussi voit-on les princes, les seigneurs et les communautés recourir au fermage de préférence. Ce sont là tous signes d’une transformation dont l’heure est venue, dont le succès atteste l’opportunité. On peut affirmer que, dans cette longue période qui va jusqu’à la révolution, les causes artificielles ont agi dans le sens d’un maintien excessif du métayage. Obstacles légaux et routine allaient contre lui. Aussi, en 1776, Adam Smith n’évaluait-il encore qu’au sixième la part du fermage sur le sol français, et, en 1784, Arthur Young aux 7/8es la part de l’exploitation à mi-fruits. Le fermage