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reste et à la manière dont ils furent reçus solennellement dans l’assemblée des frères dont ils s’étaient séparés. Ils demandèrent et on leur accorda que le passé serait entièrement effacé, et leur chef Maximus, qui était un ancien, fut rétabli immédiatement sur son siège (lettre 49.) L’évêque les représente exposant devant lui d’humbles prières (deprecati sunt), mais cela n’est guère d’accord avec le ton dont ils s’expliquent eux-mêmes dans un billet à Cyprien que je traduis textuellement : « Nous sommes assurés, frère bien-aimé, que tu te réjouiras avec nous en t’associant à nos sentimens, sur ce que, ayant pris conseil des intérêts de l’église et désirant avant tout la paix, laissant de côté tout le passé et le réservant au jugement de Dieu, nous nous sommes réconciliés avec Cornélius, notre évêque, et le clergé tout entier. Cela s’est fait à la joie de toute l’église et avec un mouvement général de charité : c’était notre devoir de t’en informer exactement par cette lettre. » En répondant à la lettre de Cornélius par ses félicitations, Cyprian n’oublie pas de célébrer de nouveau les confesseurs et dit que l’église, en les recevant dans son sein, est heureuse de se retrouver ainsi associée à leur gloire.

Ce n’était pas seulement dans Rome que Cornélius avait à combattre le schisme. On s’intéressait partout à ce qui se passait à Rome, et Novatianus envoyait de divers côtés ses partisans pour remuer les esprits. Un billet de Cornélius avertit Cyprien que plusieurs sont partis pour l’Afrique, et lui demande de l’aider contre eux. Ce billet et la réponse de Cyprien nous montrent comment on traitait la personne des adversaires dans ces luttes des partis. La passion n’a jamais été scrupuleuse là-dessus dans aucun temps, mais elle avait bien beau jeu dans l’antiquité, où la diffamation ne rencontrait ni l’obstacle des tribunaux, ni cet autre obstacle du duel, dont il faut certainement tenir grand compte, de quelque manière que l’on le juge. Je ne dis pas pourtant qu’on pût toujours faire accepter que l’homme que l’on combattait fût un misérable ; mais il était bien rare qu’on ne pût pas l’essayer. Il suffisait de la moindre rumeur pour mettre les inimitiés à l’aise. Quiconque avait eu à manier, l’argent d’autrui l’avait volé. Toute affection pour une femme s’appelait libertinage. Cyprien, au moment même où Félicissime s’était séparé de lui, n’avait pas manqué de l’accuser de vol et d’adultère[1]. Cornélius, de son côté, affirme à Cyprien, que Nicostratus, un des hommes de Novatianus, après avoir volé sa

  1. Il faut remarquer qu’adulterium, en latin, ne répond pas exactement au mot français. Il signifie tout commerce illicite, même avec une femme non mariée, et cela non-seulement dans l’usage, mais même dans la langue de la loi. (Digeste, 48,5, 6.)