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déjà grave ; mais ce qui le fut plus encore, c’est qu’avec ce même chiffre, il put lire diverses lettres que Caraman expédiait à Mitau et se convaincre que le représentant du roi s’entendait avec certains diplomates étrangers pour contrarier sa politique. Telle aurait été la cause de la brutale expulsion dont l’envoyé de Louis XVIII fut l’objet.

Ce récit transmis à Paris par Beurnonville ouvre à l’imagination une vaste carrière, et encore qu’il soit malaisé d’y ajouter foi, rend vraisemblables d’autres suppositions accessoires, lesquelles d’ailleurs ne s’accordent pas moins avec le caractère des personnages et la physionomie des événemens.


III.

Témoin de la terreur qui pesait sur les sujets du tsar, Caraman ne partageait pas la confiance de la cour de Mitau dans la continuation des dispositions favorables de ce prince. Mais il ignorait les négociations engagées entre la Russie et la France, dont rien n’avait transpiré. Les mesures dont il venait d’être l’objet le surprirent et le consternèrent. Elles lui furent signifiées, sous les formes les plus courtoises, par le comte Pahlen, gouverneur militaire de Saint-Pétersbourg, qui s’était rendu chez lui, mais en des termes qui ne permettaient pas d’espérer qu’elles fussent adoucies. On lui accordait deux heures pour sortir de la capitale. Il se défendit auprès de Pahlen d’avoir mérité la disgrâce de l’empereur et tenta vainement d’en connaître l’origine. Il courut ensuite chez le comte Panin; il se croyait sûr de son amitié, voulait savoir par lui quel était son crime. Panin demeura sur ce point aussi réservé que Pahlen. Il engagea Caraman à obéir sur l’heure aux ordres du tsar et à quitter la ville. Il lui offrit un asile momentané dans un château qu’il possédait hors des portes, sur la route de Peterhof. Pour se donner le temps de préparer son départ et pour échapper à la surveillance de la police, Caraman s’y réfugia après avoir essayé, sans y réussir, d’arriver à Rostopchin. Il en partit le lendemain, toujours ignorant des causes de son expulsion, mais convaincu que le tsar les avait communiquées au roi et qu’il les apprendrait en arrivant à Mitau. Cet espoir fut trompé. Le roi n’avait reçu aucune nouvelle ; il ne savait rien de l’événement. Caraman eut la douleur d’être obligé de le lui apprendre, et de s’avouer hors d’état de lui en indiquer les motifs.

Louis XVIII ressentit la plus vive peine. La conduite du tsar consommait l’abandon par les puissances, de la cause royale, et allait l’affirmer aux yeux de l’Europe. Le roi ne pouvait même, par des