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Ce qui est certain, c’est quelle arriva et que, dès ce jour, le crédit de la Chevalier fut acquis au gouvernement français. Déjà elle était devenue hostile à l’exilé de Mitau, grâce à l’habileté de Mme de Gourbillon, cette femme de chambre de la reine, chassée par Louis XVIII et qui, venue à Saint-Pétersbourg, avait intéressé la comédienne à son sort.

Cependant, à Berlin, les lenteurs des négociations causaient au général de Beurnonville autant d’impatiences que d’inquiétudes. M. d’Haugwiz s’appliquait à contenir les unes, à calmer les autres. « Mon général, je vous réponds, ainsi que le roi, de l’empereur de Russie, disait-il. Ayez pitié d’un amour-propre un peu déplacé. Mais vous connaissez Paul Ier par tous ls rapports qu’on vous a faits. Ce n’est pas un homme qu’on puisse mener comme on veut. Laissez-moi faire. Pourvu que je réussisse, c’est tout ce qu’il faut et je vous en réponds. Que le premier consul daigne persévérer dans sa confiance. Nous nous conduirons de manière à donner une paix honorable à la république et profitable à toute l’Europe qui en a grand besoin. » Enfin, le 13 septembre, M. d’Haugwiz prévint Beurnonville que, d’après le tzar, « tout ce qui concernait la France devait se traiter à Berlin, » et que M. de Krudener avait reçu des instructions pour négocier. Le même jour, M. de Bourgoing recevait, à Copenhague, un avis analogue avec les excuses de M. de Mourawief. La diplomatie française avait atteint son but.

Une première entrevue, entre M. de Beurnonville et M. de Krudener, eut lieu le 28 septembre, chez M. d’Haugwiz, qui les avait invités à dîner. Après le repas, il les conduisit dans son jardin, où il les laissa en disant : « Messieurs, je voulais avoir le plaisir de vous faire rencontrer. Je sais que vous avez besoin de causer ensemble ; je vous quitte et je m’estimerai très heureux si le résultat de votre entretien peut opérer un rapprochement que je désire de tout mon cœur. » M. de Krudener prit aussitôt la parole : « Vous avez dû, monsieur le général, trouver jusqu’à ce jour ma conduite fort extraordinaire, dit-il. Mais, tels étaient mes ordres que je ne pouvais entrer en relations avec vous, ni même vous parler. J’en éprouvais les regrets les plus vifs et je vous assure que je n’attendais que l’occasion de vous les exprimer. Tout me faisait désirer d’avoir des droits à votre estime et de vous prouver que j’ai autant à cœur que vous le rapprochement de nos deux nations. Ce serait un jour de fête et de bonheur pour moi que celui où nous pourrions signer ensemble ce traité auquel je désire personnellement contribuer. » Après avoir expliqué pourquoi M. de Mourawief avait été empêché de recevoir à Hambourg la lettre de M. de Talleyrand au