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Je ne doute pas cependant qu’il ne l’ait informé de cette première ouverture, comme il lui transmettra fidèlement mes billets, et je les ai libellés en conséquence. M. Panin sera informé de la tentative dans quinze ou vingt jours. »

Malgré la confiance qu’il laissait paraître, M. de Bourgoing n’en restait pas moins fort perplexe. Il venait d’apprendre l’admission auprès de l’empereur de M. de Caraman au titre de représentant du roi de France, alors qu’il s’était flatté jusque-là de l’espoir que Louis XVIÏI serait contraint de quitter la Russie. Mais il ne se décourageait pas, et ses réflexions lui suggérèrent un autre moyen d’aboutir. Au mois d’avril précédent, il avait reçu un Français qui lui était présenté par M. de Beurnonville comme pouvant lui fournir d’utiles renseignemens. Ce Français se nommait M. de Bellegarde. Ancien cornette dans le régiment colonel-général-dragons, émigré en Russie, il y avait pris du service dans l’artillerie et y était devenu l’ami du comte Rostopchin. Il se préparait à y retourner après un voyage en Allemagne. Avant de repartir, il était venu s’offrir à Beurnonville d’abord, à Bourgoing ensuite. Il avait même promis de leur écrire en chiffres pour les informer de ce qui se passerait à Saint-Pétersbourg. Grâce à ses lettres, Bourgoing se trouvait à même d’affirmer que l’empereur restait toujours indécis, sans plan arrêté, tiraillé entre les résolutions les plus contraires, et c’est sans doute en se rappelant les récits de Bellegarde sur la cour moscovite qu’il imagina une combinaison nouvelle. « On pourrait aussi, écrivait-il à Talleyrand, arriver à Paul Ier par la voie de son favori, autrefois son barbier, Koutaïsof, qui est épris d’une actrice française, Mme Chevalier. Elle a été quelque temps à Hambourg. Elle y a laissé d’agréables souvenirs, mais n’y a pas conservé de relations. Elle est très avide, dit-on, mais son amant satisfait à tous ses caprices et elle mettrait sans doute ses services politiques à un haut prix. J’ai pensé cependant qu’on pourrait la faire sonder par le Français (M. de Bellegarde). J’ai des moyens de correspondre avec lui et je vais, sans délai, tenter cette voie. Je vais aussi la proposer au général Beurnonville, qui est encore plus à portée que moi de l’employer avec succès. »

Quel que soit le caractère des personnages qu’il rencontre sur sa route, l’historien n’a pas le droit de les écarter quand ils sont mêlés aux événemens qu’il raconte. À ce titre, il y a lieu de s’arrêter un moment à ceux qui entraient en scène, associés par l’ingénieux Bourgoing au grand changement politique qu’il s’agissait de provoquer.