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vous être utile. » À ces ouvertures, Beurnonville se contentait de répondre que le premier consul voulait la paix. Mais il transmettait à son gouvernement les confidences qu’il venait de recevoir, et M. de Talleyrand lui écrivait : « Ce serait une bonne manière de procéder à la pacification générale que d’opérer d’abord un rapprochement entre la France et la Russie. « Dès ce moment, pour Bonaparte et pour Talleyrand, l’idée exprimée en ces termes par ce dernier allait devenir, comme pour Beurnonville, une idée fixe.

Le ministre de France, cependant, redoublait d’efforts pour arriver au but qu’il se proposait. Il essayait de se rapprocher de son collègue de Russie, M. de Krudener. Ses premières tentatives échouaient. Mais les renseignemens qu’il recueillait entretenaient ses espérances. Au mois de juin, M. de Rosenkrantz, envoyé de Danemark à Berlin, chargé d’une mission à Saint-Pétersbourg, vint le voir, après l’avoir longtemps évité. La démarche était significative. Le diplomate danois s’excusa de sa circonspection. Il allégua la nécessité où il s’était trouvé de ménager les susceptibilités des agens d’Angleterre et de Russie. Il exprima l’espoir d’être, à son retour, en état de se conduire autrement. Et comme Beurnonville s’étonnait que le cabinet de Saint-Pétersbourg n’eût pas encore répondu aux avances du gouvernement français, M. de Rosenkrantz lui disait : « Le tsar est retenu par l’amour-propre. Il aime les Bourbons et veut de bonne foi le rétablissement du trône. Aussi est-il furieux d’avoir été dupe des coalisés. Il est avide de vengeance. C’est ce qui le rapprochera de la république. » Enfin, M. de Rosenkrantz promettait de profiter de son séjour à Saint-Pétersbourg pour sonder les intentions de la Russie. Bientôt après, il faisait savoir qu’il avait tenu parole et provoqué une réponse satisfaisante. « Je ne suis pas éloigné de m’entendre avec le gouvernement français, avait dit le tsar. Mais si, pour cela, je fais l’effort de renoncer à soutenir Louis XVIII, je me crois en droit d’espérer que mon intervention en faveur de mes autres alliés ne sera pas sans succès. »

Mais, tandis que Beurnonville transmettait ce langage à Paris, il apprenait que M. de Caraman avait été reçu à Saint-Pétersbourg comme ministre du roi de France. La nouvelle était faite pour le désorienter. Il courait porter ses doléances à M. d’Haugwiz. Le ministre prussien s’attachait à le rassurer en lui rappelant que le tsar avait une amitié particulière pour le roi de Mitau, mais que, dans l’accueil fait à son représentant, il ne fallait voir « qu’un acte de commisération pour des amis malheureux. » M. d’Haugwiz, en cette circonstance, poussa si loin le désir de dissiper les appréhensions du général de Beurnonville qu’il n’hésita pas à le tromper. Il affirma,