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d’esprit. Elle a fait tout ce qu’elle a pu pour détourner Paul d’entrer dans la coalition. Elle le poussera à en sortir. »

La cour de Mitau commençait à ressentir les effets de ces changemens. Mais ni le roi ni ses conseillers ne pouvaient se rendre compte des motifs qui modifiaient l’attitude de Paul Ier. Le secret des négociations politiques n’était pas alors un vain mot. Il n’y avait ni journaux pour le trahir ni télégraphe pour le divulguer. Ce n’est pas à Saint-Pétersbourg, où régnait la terreur, qu’on pouvait le pénétrer. Ce n’est pas davantage à Mitau, où, privé d’informations sûres, le roi était de plus en plus isolé. Pas plus à Mitau qu’à Saint-Pétersbourg, on ne se doutait de la gravité de ces incidens, ni des efforts que faisait Bonaparte, mieux informé, pour en tirer parti. La petite cour gémissait sur la froideur subite qu’affectait maintenant Paul Ier. Mais il n’entrait dans la pensée de personne que cette froideur pût se transformer en colère et aboutir à des mesures rigoureuses.

Telle était la situation qui se dessinait déjà, lorsqu’en janvier 1800 le général de Beurnonville vint à Berlin prendre possession de son poste, comme successeur de Sieyès. La première nouvelle qui le salua à son arrivée fut celle de l’ordre donné par le tsar au maréchal Souvarof d’avoir à rétrograder. Ce fut M. d’Haugwiz qui la lui apprit. Elle lui permit d’aborder sans tarder ce qu’il considérait comme le principal objet de sa mission. Ses premiers entretiens avec le ministre prussien n’étaient pas faits pour décourager ses espérances : « Il faut finir cette malheureuse et trop longue guerre, lui dit M. d’Haugwiz. Votre gouvernement régénéré promet aujourd’hui plus de solidité dans les arrangemens. Nous y trouvons l’unité d’action et de volonté, désirée depuis longtemps. D’un autre côté, le tsar retire ses troupes. C’est le moment de poser une digue à l’ambition autrichienne. Tout cela peut se concilier en faisant quelque chose pour la Russie. Cédez Malte à l’empereur. C’est sa folie. Je crois qu’il donnerait une partie de son empire pour cette possession. » À ces premiers conseils, le roi Frédéric-Guillaume ajoutait bientôt l’autorité de ses appréciations. En recevant le ministre de France, il lui parlait en termes amers de l’avidité « incalculable » de l’Autriche. « Elle veut dévorer l’Italie, et je ne sais si l’Italie entière la satisferait. » Il disait de l’Angleterre : « Elle voudrait à jamais détruire la France sa rivale, dont elle craint la résurrection. » Restait la Russie : « Elle veut vous donner un roi, ajoutait Frédéric-Guillaume, en réservant pour elle la grande maîtrise et la propriété de Malte. Vous avez cependant une ressource, c’est qu’elle s’oppose à l’agrandissement de l’Autriche et que l’Autriche ne veut pas voir passer Malte dans ses mains. Cela pourra