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au rétablissement de la paix certains émigrés, M. de Choiseul-Gouffier, et même M. de Caraman, qu’il croyait envoyé à Saint-Pétersbourg, non par Louis XVIII, mais par la Prusse[1]. Maintenant, les circonstances semblaient plus favorables. Le tsar, nous l’avons dit, regrettait d’être entré dans la coalition. Ses regrets dataient de la défaite de ses armes à Zurich. Ils s’augmentaient de jour en jour par suite de l’obstination de l’Angleterre à détenir l’île de Malte, qu’il voulait rendre à l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, dont il s’était fait proclamer grand-maître, et de la résolution manifestée par l’Autriche de garder pour elle seule la citadelle d’Ancône, dont elle n’avait pu s’emparer qu’avec le secours de la marine russe. Ce qu’il appelait la mauvaise foi de ses alliés exaspérait Paul Ier. Sous l’empire de ses griefs, il répondait à Louis XVIII, qui le suppliait de s’associer à une expédition sur les côtes occidentales de France, que préparait l’Angleterre : « L’exécution de ces projets est peu probable dans ce moment, vu la confusion générale dans laquelle se trouve le système politique de toutes les cours, et tant que les cours de Vienne et Londres se conduiront d’après les mêmes principes, je ne pourrai rien entreprendre pour la bonne cause sans m’attendre à être sacrifié. » Un des officiers de Paul Ier, chargé d’accompagner à Londres M. de Vioménil, alors au service de la Russie, qu’à la prière de Louis XVIII l’empereur venait d’autoriser à prendre part à l’expédition anglaise, disait en traversant Berlin : « L’armée de Souvarof ne retournera pas sur le Rhin. Le voyage de M. de Vioménil n’est qu’une simagrée. L’empereur est résolu à abandonner la coalition, à rappeler ses armées. Il est en garde contre les vues ambitieuses des ennemis de la France. » Le 12 février 1800, ses troupes recevaient l’ordre de rentrer en Russie. Le corps de Condé s’y trouvait compris. Le prince de Condé ayant manifesté peu d’empressement à obéir, Paul saisissait l’occasion de se délivrer de rengagement pris par lui de garder le corps à sa solde : « La répugnance que vous témoignez de rentrer avec le corps de troupes sous vos ordres dans leurs quartiers respectifs, me porte à croire que Votre Altesse Sérénissime compte trouver plus d’avantage à faire passer ce corps à la solde anglaise. C’est ce qui m’engage à lui donner, par la présente, mon plein consentement à tout arrangement qu’elle voudra contracter en la déchargeant de ceux qu’elle avait pris envers moi. » Et après avoir donné son consentement, qu’on ne lui demandait pas,

  1. « Il n’y a que les émigrés qu’on puisse employer à cette cause. J’ai la certitude qu’un des Caraman (Victor), envoyé par la Prusse à Saint-Pétersbourg, et qui y est bien posé, ne demande pas mieux que de nous être utile. » (Lettre de Talleyrand, 7 juin 1800.)