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comme d’une faveur de ces explications qu’il leur donne, les associant par là à l’honneur qu’il se fait par sa conduite. Ils le flattent particulièrement sur ses lettres aux confesseurs, sur la magnifique éloquence par laquelle il répandait dans les âmes le goût du sacrifice. Et là ils caressent bien adroitement cet évêque qui n’avait pas confessé, en disant que c’est à lui que les confesseurs doivent en partie l’honneur de leur martyre. Mais en même temps ils conseillent du ton presque dont on ordonne ; ils disent : L’église de Rome ne permettra pas cela ; ils établissent une règle, eux qui ne sont que des anciens et des diacres, de concert avec des évêques qui se réunissent à eux. Et en le remerciant de leur avoir aussi fait son rapport sur une affaire qui ne touchait pas directement à Carthage, ils lui disent qu’il a bien fait : « car, tous, tant que nous sommes, nous devons veiller pour le corps entier de l’église, dont les membres sont répartis dans toutes les provinces. » Rome est le centre où tout aboutit. Dès que s’élève la faction de Félicissime, Cyprien lui oppose l’autorité du clergé romain. Mais bientôt les églises de Rome et de Carthage se trouvèrent plus étroitement associées par le schisme qui éclata dans celle de Rome. Après la mort de Fabianus le martyr, l’église de Rome était restée quinze mois sans évêque. Quand la persécution venait de l’empereur lui-même, et que c’était lui qui avait fait mettre à mort l’évêque dans la capitale de l’empire, il était bien hardi de nommer un autre évêque. Si on en croit Cyprien, Décius supportait mieux la nouvelle qu’il s’élevait un prétendant à l’empire, que celle de l’élection d’un évêque à Rome. Cette élection se fit pourtant à la fin, et Cornélius fut proclamé. C’était un homme qui avait passé par tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, et qui arriva tout naturellement à ce grand poste sans l’avoir brigué.

Cependant à peine était-il nommé, qu’une portion de l’église romaine refusa de le reconnaître et se donna un autre évêque, qui fut Novatianus. C’était un événement très grave. Je ne sais si de pareilles compétitions s’étaient produites jusque-là dans quelques petites cités ; mais il s’agissait ici du premier siège du monde. Lorsque Cyprien fut élu évêque de Carthage, il y eut des mécontens qui protestèrent, mais qui n’essayèrent pas d’opposer un évêque de leur choix à l’évêque élu. Ici voilà deux évêques en face l’un de l’autre. On a assez vu quelle était l’influence de Rome sur le monde chrétien pour comprendre combien l’église entière a dû être alors troublée. Plus tard, quand cette prépondérance est devenue une suprématie avouée de tous et que l’évêque de Rome a été le pape, seul appelé de ce nom, on a nommé antipapes ceux qui lui disputaient sa place, et ces noms s’employant rétrospectivement pour les