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par la police de Fouché, « le roi de Mitau, » le souverain de cette cour était Louis XVIII.

Né en 1755, l’héritier des Bourbons avait alors quarante-six ans; mais l’excès de son embonpoint, de fréquentes attaques de goutte, une expérience précoce, puisée dans les malheurs de sa maison et visible aux rides de son visage, lui donnaient déjà les apparences et les incommodités de la vieillesse. Ce n’était plus le brillant comte de Provence, l’esprit le plus caustique de la cour de Louis XVI ; c’était un proscrit, un proscrit cuirassé dans sa patience et ses illusions, indomptable dans son droit, que n’avaient pu décourager les dures épreuves de son long exil. Quoique pour venir de Paris à Mitau il eût mis sept ans, à cette dernière étape de ses pérégrinations il conservait la même confiance qu’à la première. Obligé de fuir devant les armées victorieuses de la république, ayant vu succomber tour à tour, victimes de vains complots, les plus intrépides champions de sa cause, trahi par la fortune, abandonné des rois, il ne désespérait pas, même à l’heure où, traqué de toutes parts, ne sachant où reposer sa tête, il était venu s’ensevelir sous les neiges de la Russie. Depuis, il avait rempli le monde de ses protestations, lassé les princes de l’Europe de ses incessantes plaintes, sans que l’inutilité de ses efforts eût eu raison de son énergie. Il la communiquait autour de lui, parmi les fidèles courtisans de son malheur, attachés à ses pas. Pour eux, il était toujours le roi, comme il l’était pour tous ces émigrés, errant misérables à travers le continent, les yeux tournés vers son drapeau, et pour ces obscurs conspirateurs qui, en Vendée, en Languedoc, en Provence, tombaient sous les balles ou montaient à l’échafaud en prononçant son nom.

Jamais proscrit ne manifesta avec plus de persistance de plus fermes espoirs; jamais prince dépossédé ne sut mieux se donner les illusions et les apparences d’un pouvoir qu’il n’avait pas. Dans toutes les capitales de l’Europe, il entretenait des représentans, comme s’il eût été sur le trône : à Londres, le duc d’Harcourt; à Vienne, La Fare, évêque de Nancy et le marquis de Bonnay ; à Madrid, le duc d’Havre; à Lisbonne, le duc de Coigny; à Naples, le comte de Chastellus et l’abbé de Jons ; à Saint-Pétersbourg, le marquis de La Ferté et le vicomte de Caraman; à Hambourg, M. de Thauvenay; à Rome, M. de Vernègues. De Mitau, il dirigeait ce personnel, grossi chaque jour des diplomates de rencontre et des intrigans qui venaient s’offrir, pour la plupart gens sans scrupules, étourdis et légers, dont il fallait le plus souvent réparer les bévues et dont quelques-uns se transformaient aisément en espions au service de la république. De Mitau, il dictait ses ordres aux agences de France, d’Angleterre et de Suisse, foyers d’intrigues et de sourdes