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expressions ne répondent guère à l’idée effrayante que nous nous faisons de la persécution de Décius :


Tigre altéré de sang, Décie impitoyable,
Ce Dieu t’a trop longtemps abandonné les siens[1].


Cyprien avait semblé promettre une large indulgence pour le jour où l’église aurait retrouvé la paix. Cependant le discours sur les Tombés, prononcé à son retour, montre qu’il persista dans ses sévérités. Il n’en pouvait guère être autrement, puisqu’il se trouvait en face d’une révolte ouverte, celle de Félicissime et des anciens de son parti ; car nous voyons dans le discours même de Lapsis qu’ils persistaient dans leur révolte. Mais lui se sent plus fort maintenant et est résolu à les dompter. Pour cela il se mit d’abord en règle, si on peut s’exprimer ainsi, en faisant adopter par une nombreuse assemblée d’évêques de l’Afrique une ordonnance sur les réconciliations, où étaient spécifiées les conditions diverses auxquelles elles devraient se faire suivant les diverses situations de ceux qui les sollicitaient, de sorte qu’il ne faisait plus qu’exécuter une décision qui était celle de tout un concile de la province, et non la sienne. Nous n’avons pas le texte de ces prescriptions, mais c’est cette décision qu’il soutint avec toutes les ressources de sa dialectique et de son éloquence dans le traité de Lapsis. Ses argumens ne sont malheureusement pas tous de même force. Il nous touche aujourd’hui encore, quand il déplore la faiblesse de ceux qui ont trahi leur foi, et quand ensuite il sait gré à ceux mêmes qui ont été faibles, s’ils sont humbles après avoir failli, et qu’il accueille avec une véritable tendresse les consciences délicates, qui souffrent, non plus d’avoir péché, mais d’en avoir seulement laissé entrer en eux la pensée. Il nous intéresse encore lorsqu’il s’indigne contre ceux qui, ayant trahi leur drapeau (car c’est ainsi qu’il faut nous représenter les choses), continuent de vivre indifférens, sans honte ni remords, sans rien retrancher de leurs festins scandaleux ou du luxe de leurs parures, et nous trouvons bon qu’il leur demande de racheter leur faute par une vie plus modeste et surtout par leurs aumônes. Mais il nous fait peine lorsque, pour justifier ses sévérités, en montrant que Dieu ne pardonne pas si vite, il s’applique à faire peur à son auditoire en étalant les prétendues vengeances que Dieu lui-même a prises de tel et tel qui l’avaient renié. Non-seulement il met sur le compte de Dieu les maladies, et surtout les troubles d’esprit dont plusieurs étaient saisis, et qui ne s’expliquent que trop par les terreurs de

  1. Polyeucte, acte IV, sc. 2.