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Pour les autres, il maintient sa décision, et il les renvoie à Dieu même : qu’ils obtiennent de lui cette paix de l’église qui leur permettra d’y rentrer. Et pour les faire taire, il ajoute qu’il ne tient qu’à eux, d’ailleurs, d’avoir mieux encore que ce qu’ils demandent. La persécution n’est pas finie, et il y a encore des poursuites. S’ils sont si impatiens, qu’ils cherchent le martyre, et au lieu de solliciter le pardon, qu’ils conquièrent la couronne : qui differri non potest, potest coronari (lettre 19). Il ne faut pas croire, d’ailleurs, que la règle fût impitoyable : si un Tombé était réellement en danger de mort, il ne pouvait guère alors ne pas trouver un confesseur pour lui donner le billet auquel la réconciliation était attachée. Et de plus le danger de mort n’est pas une situation tellement déterminée, que de ce côté encore il n’y eût place pour certaines condescendances. Tel avait obtenu la communion, sous prétexte qu’il allait mourir, qui le lendemain se retrouvait bien vivant, et Cyprien disait alors : « Faut-il l’étouffer ou le tuer de notre main parce qu’il vit encore ? » Il ne péchait donc pas par l’excès de sévérité ; il tenait seulement à ce que les formes fussent gardées et à ce que sa dignité fût respectée ; il s’indignait, par exemple, que des Tombés, qui lui écrivaient pour être réconciliés, osassent écrire au nom de l’église, disant que l’église demandait cette réconciliation ; et un ancien qui n’était pas de son clergé, un certain Gaius de Didda, ayant admis des Tombés à la communion contrairement à ses instructions, il ordonne à son tour à ses anciens et à ses diacres de refuser la communion à Gaius, ou plutôt il les approuve et les félicite de l’avoir fait, car ils avaient prévenu sa décision, tant il savait, même absent, tenir dans sa main son clergé.

Cependant il n’était pas universellement obéi, et cela ne peut étonner, puisque l’évêque ne siégeait toujours pas sur son siège épiscopal, et n’osait encore reparaître dans Carthage. Cinq de ses anciens, qui avaient été de tout temps ses adversaires, et, qui au plus fort de la persécution, quand l’évêque était à peu près réduit à l’impuissance, avaient affecté de donner de leur autorité la communion aux Tombés, venant en aide par cela même aux magistrats persécuteurs, se laissèrent entraîner à la révolte par le diacre Félicissime. Il y avait parmi ces anciens des hommes respectables, soit par leur âge, soit à d’autres titres encore, et l’évêque en est évidemment embarrassé[1]. Félicissime en vint jusqu’à menacer lui-même de rejeter de sa communion ceux qui obéiraient à l’évêque et à faire rayer de la liste de ceux à qui on devait distribuer des secours des pauvres qui étaient dans ce cas. Cyprien, par une lettre à ses fidèles, mit à son tour en dehors de sa

  1. Nec ætas vos eorum nec auctoritos fallat. » (43, 4.)