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républicains d’aujourd’hui peuvent invoquer le nom et l’autorité de M. Thiers devant l’opinion ; ils peuvent se représenter comme ses continuateurs dans les « quinze années de république » dont on parle assez souvent. C’est la continuation ; — si ce n’est que c’est exactement le contraire, — et que tout ce qu’a l’ait ou essayé l’ancien président, ses successeurs républicains sont occupés à le défaire.

Eh bien ! voilà pour le moment toute la question. Il y a en présence deux politiques : l’une, après avoir reçu la France blessée et meurtrie comme on l’a dit si souvent, lui avait rendu par un sage gouvernement la paix, la liberté de son territoire, la puissance financière, la confiance en elle-même, les sympathies du monde ; l’autre, après avoir reçu une situation raffermie, pacifiée, presque prospère, a trouvé le moyen de dévorer en peu de temps ce qui lui avait été légué. Cette politique qui a régné et gouverné depuis quelques années, elle n’a point sans doute irréparablement perdu ce pays de France, qui se tirera de là comme de bien d’autres épreuves ; elle a dû moins notablement et gravement compromis tout ce qu’elle a touché, peut-être la république elle-même qu’elle prétendait servir. Elle a créé un état évident de crise qui se manifeste sous toutes les formes, et ce qu’il y a de plus dangereux ou de plus curieux, c’est que les républicains seuls, qui en ont la responsabilité, ne voient pas ou affectent de ne pas voir une situation qui est leur œuvre. Que leur parle-t-on de malaises publics, d’embarras financiers ? Ce sont là tout au plus des inventions monarchiques ! Les républicains n’y croient pas, ils ne croient qu’aux bienfaits qu’ils ont répandus sur la France. Ils ne s’entendent pas toujours, il est vrai, sur tous les points. M. Jules Ferry, dans ses pérégrinations, dans ses discours à Bordeaux et ailleurs, ne cesse de déclarer que l’expédition du Tonkin, — la plus grande expédition du siècle après celle du Mexique ! — est définitivement terminée ; M. Henri Brisson, pour sa part, ne laisse pas d’avoir des doutes sur le dénoûment d’une entreprise dont il n’aurait « qu’à récolter les fruits, » et il ne cache pas qu’on n’est peut-être pas près d’en finir avec les difficultés. Mais ministres d’hier et ministres d’aujourd’hui se retrouvent d’accord pour promener un regard satisfait sur l’œuvre qu’ils ont accomplie, sur ce qu’ils appellent la France républicaine. Ils ne voient partout que prospérités et un avenir indéfini de progrès, de réformes démocratiques. Ils sont pleins d’illusions et d’optimisme. Si, malgré tout, ils sentent une certaine résistance croissante dans le pays, ils ont toute sorte d’explications, excepté la seule explication juste et vraie qui devrait les éclairer, ils ne comprennent pas que, si cette résistance existe, si même l’opposition n’a fait que grandir au lieu de diminuer depuis quelque temps, c’est tout simplement la conséquence de la politique qu’ils ont suivie, qu’ils prétendent suivre encore, qui