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l’intelligence, Mlle Rachel Boyer de la bonne humeur, et M. Duard, un débutant, certaine fantaisie burlesque dont il trouvera de meilleures applications. Trois jours après, ce fut l’École des vieillards : moins heureux que les premiers spectateurs de cette pièce, nous n’avions dans les rôles de Danville et d’Hortense ni un Talma ni une Mars, mais seulement M. Albert Lambert père et Mlle Nancy Martel ; aidés de MM. Cornaglia et Paul Rameau, ils suffirent à leur tâche, et cette soirée fut agréable. C’est que Delavigne ici a choisi un sujet à son niveau ; dans la comédie de mœurs bourgeoises, il marche de plain-pied, allègrement.

J’entends bien que la chose est exécutée de façon anodine : le vieillard marié, quoique son rôle, dans une scène capitale, s’exalte jusqu’aux grands sentimens, — même jusqu’aux vers héroïques et de facture quasi cornélienne, — ce vieillard, dont l’imprudence doit nous être une école, en est quitte pour la peur ; il n’est mis en danger que pour rire, et l’on se contenterait d’être assuré d’un sort pareil au sien. Mais il se peut, en effet, que les Danvilles épousent des Hortenses, c’est-à-dire des femmes un peu futiles et tout à fait bonnes, qui s’effraient elles-mêmes des périls où leur vertu s’est une fois exposée. Le caractère existe assurément : l’auteur a licence de le choisir plutôt qu’un plus noir, s’il veut nous donner un avertissement plutôt qu’un sévère exemple. D’ailleurs, la versification, dans presque toute cette comédie, a plus d’agrément que de force ; elle convient à l’esprit selon lequel est traité le sujet ; elle est sèche, correcte, agile, propre aux digressions morales dans le goût de l’épître, aux petits traits qui sifflent doucement et piquent à fleur de peau. Si, parmi ces vers, il s’en trouve dont la langue et le tour sont parfaitement démodés, ce n’est pas un mal : ils s’accordent avec les costumes, ils achèvent de marquer la date de la pièce. Or, ce n’est pas ici un chef-d’œuvre qu’il s’agisse d’admirer en soi, mais un ouvrage distingué qu’il faut regarder surtout comme le représentant d’un genre et le témoignage d’une époque. Rotrou et Venceslas veulent être considérés de l’une et de l’autre façon ; pour Casimir Delavigne et Don Juan d’Autriche, même pour l’École des vieillards, la seconde suffit. À ces conditions, je suis fort aise que la pénurie de nouveautés et la saison aient permis ces reprises : même en tout temps et si les vaches grasses reparaissent, je consens qu’on n’oublie pas Delavigne et je supplie qu’on ne néglige plus Rotrou ; que MM. les directeurs ne nous fassent pas tort de ces parties extrêmes de notre patrimoine.


Louis GANDERAX.