Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

transformé à dessein en moine presque imbécile pour que le réveil de sa malice soit tout à l’heure plus piquant, échanger avec un Éliacin-Gavroche, — un « moinillon, » comme il l’appelle, — d’agaçantes facéties.

Le pis est que le langage, courant et agile tant qu’il s’agit de babioles, s’empêtre et s’alourdit justement alors qu’il faut s’élever à des objets d’importance. Les répliques plaisantes et lestes ne manquent pas ; mais Charles-Quint, faisant allusion au simulacre de ses funérailles, s’écrie : « C’est une idée que je veux exécuter en grand avant que la nature la prenne avec moi tout à fait au sérieux ; » — Philippe II, à qui lui parle de sa fiancée, Elisabeth de Valois, répond aussitôt : « Ce mariage politique n’est que le veuvage avec plus de contrainte et d’entraves ; » — l’héroïne, doña Florinde, à peine échappée aux bras du roi, qu’elle a fait reculer en lui déclarant qu’elle est juive, articule cette profession : « Mon mensonge fut de descendre par nécessité à feindre une croyance qui n’était que sur mes lèvres. »

Ce Charles-Quint, qui badine à son ordinaire, est représenté en perfection par M. Maubant : c’est assez dire pour qu’on le juge. M. Raphaël Duflos, pour le début duquel on a repris la pièce, peut vibrer à son aise ; il peut faire retentir perpétuellement sa voix grave et continuer sans relâche cette diction tendue : personne n’a le droit de lui objecter que Philippe II, s’il put avoir à peu près cette figure, cette silhouette et cette façon de se camper, fut moins bruyant et moins ronflant : est-ce Philippe II, en effet, qu’il a charge de représenter ? Mlle Tholer, munie du rôle de Florinde, n’espère sans doute qu’être plainte pour les efforts qu’elle y fait : toute la partie sérieuse de la pièce est la pire ; aucun talent ne donnerait le change là-dessus. Les personnages frivoles sont mieux partagés : don Juan, qui l’est pour les trois quarts, appartient à M. Delaunay ; l’excellent comédien en fait ce qu’on en peut faire : un Chérubin généreux et grandi. Mlle Müller est aimablement espiègle sous le froc du « moinillon » Peblo. M. Thiron, qui joue Quexada, est spirituellement débonnaire ; il trouve le moyen même, dans un passage pathétique, d’être délicieux.

Ai-je dit qu’il était bon de conserver au théâtre un spécimen du talent de Casimir Delavigne ? Eh oui ! à titre de document pour l’histoire de l’art dramatique français, il convient de maintenir en exercice un ouvrage ou quelques-uns de cet honnête et ingénieux artisan. Toutefois, pour monument de son savoir-faire, je préfère à Don Juan d’Autriche et même à Louis XI, — repris, cette année encore, à l’Odéon, — l’École des vieillards, remontée aussi sur cette même scène. On travaille vite sur la rive gauche, et l’on n’y travaille déjà pas si mal : après Venceslas, n’avions-nous pas vu le Jeu de l’amour et du hasard ! M. Amaury, en vérité, y tenait le rôle de Dorante comme je souhaiterais qu’il fût tenu à la Comédie-Française ; Mlle Nancy Martel y montrait de