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toujours un tel sans-gêne, mais souvent on donnait des billets qui réclamaient la paix pour un tel avec les siens, et Cyprien demandait si on prétendait étendre une telle formule à vingt ou à trente. Il priait qu’on désignât nominativement ceux dont on sollicitait la grâce. Il y avait des milliers de ces billets ; cela était devenu une affaire de complaisance, et des intermédiaires en faisaient commerce. On en donnait au nom d’un mort, en se contentant de déclarer qu’on en avait été chargé par lui, ou encore au nom d’un confesseur qui ne savait pas écrire. Telle était l’autorité de Cyprien, que, sans doute, s’il eût été présent, on n’aurait pas tant osé ; mais à la faveur de son absence, il s trouve parmi ces anciens sur qui il croyait pouvoir se reposer et qu’il prend toujours soin d’associer à lui par le nom même dont il les désigne[1], des hommes qui se laissent entraîner aux clameurs des confesseurs et encouragent leurs exigences. Ainsi l’évêque n’était plus maître de ses indulgences et du gouvernement de son église. Il se hâta de prévenir ce désordre. C’est aux confesseurs eux-mêmes qu’il s’adresse tout d’abord ; il les flatte en paraissant compter sur leur sagesse, et leur dit en parlant de ces anciens trop complaisans : « Qu’ils apprennent de vous ce qu’ils auraient dû vous apprendre. » Il leur rappelle que leurs glorieux prédécesseurs ont toujours rendu à l’évêque ce qu’ils lui devaient, sans rien usurper sur lui : « Vous aussi, conduisez-vous en amis du Seigneur, en hommes qui jugeront un jour avec lui[2] » » (lettre 15). Il adresse d’autres lettres à ses anciens et à ses diacres, puis, à son peuple, aux laïques ; il les ramène à lui et les intéresse à sa cause par un mélange très heureux de fierté et de complaisance. L’indulgence viendra, mais quand il sera de retour, quand tout pourra se faire dans les règles et que lui-même imposera les mains aux pénitens, avec le concours de son clergé, et l’église tout entière étant présente, car rien ne doit se faire sans l’aveu de tous.

Il se fait obéir, mais comme on obtient l’obéissance là où l’obéissance est libre, en ménageant avec soin l’opinion. Il sait faire fléchir à propos les règles mêmes qu’il a établies. Il avait dit que la réconciliation ne se ferait que quand l’église serait en pleine paix et l’évêque rentré dans sa chaire, toute crainte de persécution ayant cessé. Mais l’été vient, l’été malsain et dangereux des pays chauds. Des Tombés pouvaient être malades et être surpris par la mort. Cyprien permet alors que, sans l’attendre, ils puissent être reçus à la communion par des anciens, ou même par des diacres, si toutefois ils ont des billets des confesseurs (lettre 18).

  1. Compresbyteri nostri, mot coanciiens
  2. I Cor., VI, 2, et Matth., XIX, 28.