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glorieusement pour Dieu et Votre Majesté, nous aurons conquis une destinée qui, sous un rapport du moins sera digne d’envie, » — celui-là méritait d’être, ressuscité sur la scène par le lieutenant civil de Dreux, qui, restant à son poste au milieu d’une épidémie de fièvre pourprée, lit, trois jours avant sa mort, la fameuse réponse : « Au moment où je vous écris, les cloches sonnent pour la vingt-deuxième personne qui est morte aujourd’hui. Ce sera pour moi quand il plaira à Dieu. »

Je m’aperçois que je vais le prendre mal, et je me rappelle à temps que Delavigne n’a pas prétendu, cette fois, faire une tragédie ni même un drame, mais seulement une comédie émouvante par endroits et romanesque autant qu’historique. Il a composé du moins un vaudeville pathétique, dont l’invention industrieuse et la conduite habile feraient honneur à un premier clerc de maître Scribe. Il a mis dans les trois cinquièmes de l’ouvrage beaucoup de bonne humeur et même d’esprit ; s’il l’a distribué souvent, cet esprit, selon la formule du maître, pour complaire facilement et sûrement à des intelligences moyennes et à un goût médiocre, il serait injuste portant de ne pas le reconnaître et de lui faire constamment grise mine. D’ailleurs, puisque don Juan, à l’époque choisie ou plutôt imaginée par l’auteur, s’ignore lui-même et ne s’est encore prouvé par aucun acte, à la rigueur nous pouvons tolérer qu’on ne fasse de lui qu’un aimable et pétulant jeune premier, un don Juan-Déjazet. Mais quoi ! ma bonne volonté renâcle devant ce Philippe II et ce Charles-Quint. J’ai beau me dire que le dramaturge, surtout dans une œuvre légère, ne fait pas métier d’historien ; je suis tenté de lui demander, à ce compte, qu’il anime des ducs de Terre-Neuve et des amiraux qui font naufrage eu Silésie, mais qu’il ne dérange pas de si grands morts pour sa parade. Affubler de pareils noms des fantoches, c’est vouloir exploiter la badauderie, la crédulité publique : je me dérobe à cet abus de confiance. Dès que ce Philippe II, dès que ce Charles-Quint surtout est en scène, mon plaisir est inquiété comme par une indécence et par une tentative d’escroquerie.

Pourquoi est-ce Philippe II ? Parce qu’au milieu d’une méditation amoureuse, le personnage s’interrompt pour dicter un ordre concernant des hérétiques : « Tous au gibet ! » Pourquoi Charles-Quint ? Parce que, dans une cellule de monastère, ce vieillard dit à un novice : « Allez donner un coup d’œil à mes horloges ; je crois que le numéro quatre est en retard. » Reconnaissables à ces grossières marques, le fils et le père agissent et s’expriment, l’un en personnage de mélodrame, l’autre en personnage de vaudeville. Tout l’artifice de ce troisième acte, où l’on voit Charles-Quint à Sainte-Périne plutôt qu’à Saint-Just, me parait d’une mauvaise grâce presque insupportable : à grand’peine puis-je m’empêcher de grincer des dents, alors que j’entends ce politique,