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Nous l’avons remplacé, ce beau mot loyal, et de la bonne manière : en le remettant à sa place. Et bien d’autres de même ! Et si quelques-uns, d’ailleurs, que nous n’attendions pas dans une tragédie, mais qui disent honnêtement ce qu’ils veulent dire, surprennent notre oreille, la surprise nous est agréable et nous les saluons comme bienvenus. Çà et là, sans doute, un rien nous fait sourire : même pour notre goût, ceci est une marque de trivialité, cela de préciosité. C’est l’infante qui se plaint « d’un léger mal de cœur ; » c’est le prince qui se réjouit que sa mort « plaise aux plus beaux yeux du monde. » Nous mettons ce dernier trait sur le compte de la mode ; nous attribuons le premier à la naïveté du temps, comme à sa liberté telle tournure qui, vingt ans plus tard, eût offensé la syntaxe ; nous passons outre avec indulgence : Shakspeare, acclimaté chez nous depuis Marmontel, nous a fait pardonner bien d’autres vulgarités et d’autres pointes ! Quant à l’ordinaire familiarité de ce style, c’est elle qui en fait la force ; et justement, cette force, avec celle des caractères, — d’où suit celle de l’action, — est ce qui nous plaît dans Venceslas : elle nous ragaillardit et nous enchante. Pourquoi la Comédie-Française, après cette expérience, ne préparerait-elle pas, elle aussi, une reprise ? M. Silvain jouerait excellemment le vieux roi, MM. Mounet-Sully et Duflos les deux frères. La rentrée de ce charmant, romanesque, héroïque Rotrou dans le concert de nos grands auteurs y mettrait un peu de variété. Ce n’est pas seulement par les taches ni par le fard qu’il rappelle Shakspeare, dont il fut, — aussi bien qu’un frère d’armes de Corneille, — un neveu français. Admettre au moins son chef-d’œuvre parmi les pièces que nos acteurs perpétuent, ce n’est que poser aux yeux du public un peu plus justement qu’on ne fait d’habitude les bornes de notre génie national.

Marmontel regrettait que le sujet de Venceslas ne fût pas « tombé entre les mains d’un Voltaire… » Tombé ! il disait bien. Est-ce pour exaucer Marmontel au-delà même de son vœu que la fortune mit le sujet de Don Juan d’Autriche entre les mains de Casimir Delavigne ? Ici encore c’est un père, un souverain, qui intervient dans la rivalité amoureuse de ses fils ; mais ce père est Charles-Quint, mais ces fils sont Philippe II et le futur vainqueur des Turcs et des Maures, le héros promis aux Alpujaras, à Tunis, à Lépante. En vérité, j’aimerais mieux que ce Venceslas, qui pourrait être, aussi bien que roi de Pologne, duc de Terre-Neuve, à l’exemple d’un autre personnage de Rotrou, j’aimerais mieux que ce Ladislas et cet Alexandre fussent échus au chantre de la Parisienne, et que l’auteur de Cosroès, par compensation, eût obtenu cette illustre matière. Le capitaine qui, de son camp de Namur, atteint d’une fièvre pestilentielle et devant mourir dix jours après, écrivait à son royal frère : « N’oubliez pas, sire, que nous tous, tant que nous sommes ici, et pour qui il y va de la vie dans ce terrible jeu, si nous la perdons