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c’est un pèlerinage qui ne convient qu’à des critiques, à des professeurs, à quelques maniaques de littérature… Venceslas ? .. Ah ! oui ! Venceslas et Saint Genest, deux tragédies ou plutôt deux titres entrevus naguère au collège, dans le crépuscule qui précède Corneille et Racine, comme Rhadamiste et Zénobie et Mérope dans le crépuscule qui les suit. On a lu quelques vers extraits de ces ouvrages, en petit texte, au bas des pages d’un livre de classe. Depuis, si l’on s’en est souvenu, c’est au foyer de la Comédie-Française, en remarquant le buste de l’auteur pour sa fière mine de joli capitaine, ses moustaches et sa royale. Qui l’aurait cru que ce cavalier de physionomie si vive fût le précurseur du vieux Corneille ? Oui, le précurseur, quoique né trois ans après lui, à ce que disent les savans ; Corneille débutant put avoir l’ambition de l’égaler. D’ailleurs même ses pièces écrites, s’il faut en croire les spécialistes, après le Cid, Cinna, Horace et Polyeucte, même celles-là, autant qu’on s’en rappelle des citations et qu’on peut s’en faire une idée, paraissent antérieures d’un demi-siècle à ces chefs-d’œuvre. Il semblerait que le clair soleil du XVIIe siècle ne se fût pas levé pour Rotrou et qu’il eût tâtonné encore dans les ténèbres d’une demi-barbarie. Un burgrave, voilà ce qu’il est dans la lignée des tragiques ; cinq grands actes d’un tel homme, c’est de quoi faire reculer tout bachelier qui ne se donne pas des airs de docteur. Et Venceslas encore ! O le titre rébarbatif ! Présenté par Rotrou, un héros grec ou romain, pour nous autres gens de race latine, eût déjà été d’un abord assez rude ; faut-il affronter cet ours ? Et dans l’Odéon, cette caverne ! .. Rotrou, Venceslas, Odéon, trois noms à renverser quiconque ne se pique pas d’être un explorateur.

Voilà dans quels sentimens, l’autre soir, en nous voyant partir pour cette épreuve, étaient restés nos amis et nos proches. Et même parmi nous, spectateurs réunis par le devoir, par la curiosité ou par quelque hasard, combien étaient d’une humeur à peu près pareille ! C’est que Venceslas, représenté pour la première fois en 1647, applaudi souvent au cours du XVIIe siècle et du XVIIIe, et derechef sous le premier empire, n’a pas été joué depuis, sinon à l’Odéon en 1842, à l’Odéon en 1867, et dans les matinées de M. Ballande. Son compagnon Saint Genest, qui date de 1646, n’a reparu sur la scène qu’en 1845 et en 1874. Cosroès, le troisième ouvrage tragique de Rotrou qui soit regrettable, est ignoré au théâtre depuis 1704. Aucun régisseur ne connaît les Sosies, cette comédie qui se ferait agréer encore après Amphitryon ; ni cette autre, la Sœur, dont Molière a sauvé du moins quelques bribes en les transportant aux Fourberies de Scapin, à l’Avare, au Bourgeois gentilhomme ; ni Laure persécutée, cette tragi-comédie qu’on serait tenté d’attribuer à un aïeul de Marivaux ; ni cette autre, si plaisante et mélancolique, Don Bernard de Cabrère, — ni le reste ! Nous honorons comme un ancêtre l’auteur de Venceslas, et nous savons que cette tragédie est son