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pour sa propreté. En effet, comme en Hollande, la propreté y est minutieuse. C’est par là surtout que Minorque l’emporte de beaucoup sur les autres Baléares, trop voisines de l’Espagne et de l’Afrique ; mais l’hygiène n’y est guère mieux entendue. Dans ces parages, la santé n’est rien auprès du salut. C’est par là généralement que les pays réputés primitifs le cèdent à ceux qui, se trouvant sur le chemin de la civilisation, ont largement bénéficié de ses avantages. — Ciudadela est remarquable par ses jolies promenades et par ses belles maisons dont quelques-unes sont des palais somptueux appartenant à l’ancienne noblesse, éclipsée aujourd’hui par l’aristocratie des écus. Des demeures princières ont été bâties ces dernières années par de simples bourgeois qui ont fait fortune en Amérique et surnommés à cause de cela « les Américains. » C’est ainsi que la propriété, qui a établi l’inégalité entre les hommes, sert à rétablir l’égalité. Parmi les curiosités de cette ville, où fleurit un nombreux clergé, il faut signaler le cloître des Vieux-Augustins et les magnifiques orangers qu’on y voit, grands comme des chênes. Ces beaux arbres sont la parure d’un très beau jardin. Jamais le froid ne pénètre dans cet enclos formé par deux étages de galeries. L’évêché est une habitation ample et commode où l’évêque actuel a réuni avec goût une collection choisie de dessins, de tableaux et de livres. Il y manque une statue de la tolérance.

Mahon, dont le nom est plus célèbre, se pourrait comparer à une capitale déchue. L’herbe pousse dans beaucoup de ses larges rues et dans ses faubourgs déserts. Il n’est plus le temps où les Anglais, les Français, les Catalans firent tour à tour sa prospérité. Son port immense est vide, à moins que quelque épidémie n’oblige les navires à faire quarantaine et à subir les rigueurs du lazaret. C’est le seul de l’Espagne qui mérite ce nom, les autres n’étant que temporaires, provisoires, improvisés pour les besoins du service de santé. Encore est-il inachevé et peu commode, pour ne rien dire de plus, car le lazaret de Mahon a été l’objet de bien des commentaires, lors de la quasi-épidémie de choléra qui a fait place, en Espagne, aux inondations et aux tremblemens de terre. La peur du choléra a inspiré des mesures vexatoires qui semblent prouver que les principes du droit international ne sont pas toujours mieux observés que les prescriptions de la charité fraternelle. L’hospitalité que les peuples se doivent entre eux ne parait pas compatible avec ces précautions excessives qui assimilent les suspects, c’est-à-dire les quarantenaires, à des prisonniers de guerre.

Les Mahonais sont justement fiers de leur port sans pareil, de leur cimetière qui ressemble beaucoup à ces champs de repos que les Italiens appellent camposanto, et du grand orgue de la paroisse