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« faisant parler » la poudre à tout propos, particulièrement dans leurs jeux et leurs fêtes, qu’ils rappellent les Bédouins et autres tribus nomades de l’Afrique. Ils en ont les traits, le teint, les formes, l’agilité, et en partie le costume. Beaucoup portent autour de la tête le madras ou le foulard étroitement serré, enroulé, se terminant en cône tronqué ; coiffure des pays chauds, non sans ressemblance avec le turban. La plupart sont chaussés d’espadrilles, vêtus d’une espèce de veste très courte, ceints d’une large bande d’étoffe de laine qui fait plusieurs fois le tour de la taille, emprisonnés comme en une gaine, dans un pantalon collant qui descend à peine jusqu’à la cheville ; costume de montagnard ou de contrebandier, excellent pour la chasse et pour la course. Les duels au couteau et à la carabine sont très fréquens. Ils ont une formule pour se défier au combat : « Nous allons voir lequel des deux a sucé le meilleur lait, » mêlant à leur férocité le plus innocent des souvenirs. Les déclarations d’amour se font à coups de fusil, et c’est en armes que les prétendans vont faire la cour à leur fiancée. Ils sont souvent huit ou dix, et chacun attend son tour. Passer de quelques minutes le temps convenu, c’est s’exposer à recevoir quatre balles de ceux qui s’impatientent à la porte. Quand elle a été suffisamment courtisée, la jeune fille fait son choix, et le jour des noces, au sortir de l’église, les prétendans éconduits lui font hommage de plusieurs salves. La vendetta est de tradition à Iviça. L’habitude de se venger, de se rendre justice à soi-même n’annonce pas une civilisation très humaine : on sait que cette coutume barbare persiste encore dans d’autres îles de la Méditerranée ; mais dans aucune il ne se commet autant de crimes. La vie y est estimée peu de chose, à voir les attentats dont elle est l’objet. Ceux qui veulent tout expliquer prétendent que la population d’Iviça se compose de deux couches bien distinctes. A les en croire, les premiers colons étaient des repris de justice, des bandits hors la loi. Pour améliorer cette population sinistre, on envoya plus tard du continent des cultivateurs et des ouvriers chargés de faire souche d’honnêtes gens. Ce qu’il est permis de supposer, à défaut d’autres preuves, c’est qu’après la conquête tous les Africains ne furent pas expulsés et que leurs descendans sont encore aujourd’hui en majorité, surtout à la campagne. Dans la ville même, les deux classes se sont maintenues, et il n’y a point eu de fusion. Il y a des quartiers particulièrement malpropres et mal famés.

Le dialecte des habitans de ce premier groupe est dur et sec. Les sons dominans sont Vu latin (ou) et l’e muet. Ce parler peu harmonieux ressemble aussi peu que possible à celui des Valenciens, remarquable par la plénitude des voyelles sonores et l’adoucissement des consonnes dures. Ce qu’il y a de commun entre les habitans d’Iviça et les Valenciens de la banlieue, c’est la coutume orientale