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loin en loin, quelques dattiers sveltes et droits comme des colonnes, livrent à la brise leur tête couronnée de palmes. Des maisons basses et blanches, avec leurs porches et leurs terrasses, servent d’abri aux baigneurs ; entourées d’un jardinet fleuri, ombragées d’un bouquet d’arbres, elles reposent et réjouissent la vue.

Les villes qui bordent cette partie du littoral ont des noms célèbres dans l’histoire de Rome et de Carthage. Leur aspect est archaïque et oriental. Le souvenir des Arabes est partout dans cette région qu’ils ont embellie, enrichie par leurs savantes cultures. On songe au mythique jardin des Hespérides en traversant l’immense plaine où des milliers d’orangers poussent en plein champ, abreuvés nuit et jour par mille canaux qui sillonnent cette terre grasse, d’un rouge sombre et toujours altérée. Ces arbres délicats restent petits ; si on les laissait grandir, étant plus exposés au vent, ils produiraient moins de fruits. Le voyageur, un peu désappointé, se résigne à contempler cette vaste pépinière, un peu monotone, au lieu de la forêt enchantée de ses rêves. L’utile ne va pas toujours avec le beau.

Valence est assise comme une reine au milieu de cette végétation orientale. Peu de villes font autant d’honneur à leur réputation. La cité du Cid et de Jacques le Conquérant est digne de ces héros. Les cinq ponts de pierre ornés de statues qui mènent des portes au-delà du Guadalaviar lui font une ceinture superbe. Quand on a passé ce fleuve, dont le large lit est presque à sec, et dont la renommée est grande chez les poètes, on se trouve sur le boulevard extérieur, qui longe la plus merveilleuse des promenades, un véritable Éden où abondent l’ombre, les fleurs, la verdure et l’eau courante. La glorieta, qui est dans l’intérieur de la ville, ne le cède point à l’alameda. Quoique la comparaison soit usée, c’est une délicieuse oasis dans ce pays brûlé par le soleil. À l’autre extrémité de la ville, un vaste jardin public, tout en longueur, offre aux promeneurs des allées ombreuses, et une jolie petite rivière aux nombreux méandres. En parcourant ces parcs bien arrosés et fleuris, on pourrait se croire dans une brillante exposition d’horticulture en plein air.

Valence est la ville des jardins. La plupart de ses places publiques sont fleuries, ombragées, rafraîchies par des fontaines au murmure enchanteur, largement garnies de bancs et de sièges commodes, fréquentées matin et soir, particulièrement aux heures lourdes de la sieste. Les rues sont gaies, propres, bien pavées de larges dalles, bordées de maisons à la façade riante et de nombreux palais aristocratiques dont le portail est surmonté de vieux écussons. Ces demeures seigneuriales se mêlent démocratiquement aux maisons bourgeoises, sauf dans la rue des Nobles (calle de les Caballeros), où l’on ne voit que des palais anciens et modernes. Les monumens sont dignes d’une grande capitale, la plupart d’une teinte rouge