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voici que le sang des martyrs lui a donné la robe de pourpre. Les roses fleurissent chez elle comme les lis. Que chacun maintenant fasse effort pour atteindre à l’une ou à l’autre de ces gloires ; pour recevoir les couronnes blanches des œuvres, ou la couronne de pourpre des souffrances. Dans l’armée du ciel, la paix comme la bataille a ses fleurs, prix magnifique du soldat du Christ. »

Voilà comment, l’évêque, du fond de sa retraite, payait sa dette à son église ; comment il récompensait les épreuves de la veille, et donnait envie, pour ainsi dire, de celles du lendemain ; comment cependant il mêlait à ces ardeurs la pensée rafraîchissante de la paix, promettant tout à la fois le repos et la gloire, de manière que la gloire acquise en devînt plus douce à ses frères, et que la paix même ne laissât pas s’amollir leur fierté. De tels discours, quand ils étaient lus par une voix choisie dans l’assemblée des fidèles, enthousiasmaient la foule et la passionnaient à la fois pour sa cause et pour son chef absent. On voit, dans la correspondance de Cyprien, quel honneur lui faisaient et combien lui valaient de sympathie, surtout parmi les confesseurs mêmes, non-seulement ses soins attentifs et ses sacrifices personnels, mais plus encore, peut-être, la magnifique éloquence qu’il répandait comme un baume sur les souffrances des martyrs.

On reconnaît cependant, par la lettre 11, qu’on ne pouvait pas tous les jours être aussi fier. Quand ceux qui avaient en main la force le voulaient absolument, ils venaient à bout de toute résistance. Il y avait telle torture que nul ne pouvait supporter ; ou, du moins, ceux-là seuls ne cédaient pas qui étaient assez heureux pour mourir de la douleur même avant que d’avoir cédé. Il y eut de ces journées. Mais il semble que l’autorité satisfaite cessa de s’obstiner à son tour et que ce fut alors que la persécution s’arrêta. Cette lettre même promet de nouveau la paix et rien ne la contredit dans les suivantes.

Nul ne savait précisément si la persécution allait cesser, mais sans le savoir on le pressentait ; cela était dans l’air. Ce pressentiment, dans l’état d’exaltation où étaient les âmes, tout enveloppées du surnaturel, se manifestait par des visions où Dieu était censé s’expliquer lui-même. Il y en a plusieurs dans la lettre 11, une notamment où c’est à lui, Cyprien, que Dieu a annoncé la paix. Il s’est autorisé de ces visions à toutes les époques de sa vie. Il suivait l’exemple de Paul, qui avait aussi prétendu recevoir du Seigneur des révélations directes. Celles de Cyprien ne sont jamais que des songes, qu’il est toujours aisé de croire venus de Dieu ; d’autres prétendaient avoir des visions dans l’état de veille ; c’étaient surtout des enfans, à un âge où l’imagination est très