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l’éclat des anciens jours. Cet idiome artificiel et factice, soumis aux règles inflexibles d’un art savant, et auquel l’académie des belles-lettres et le consistoire de la gaie science de Barcelone proposent des prix, promettent des couronnes, cet idiome académique n’a rien à faire avec celui qui se conserve par tradition parmi les paysans de la plaine et de la montagne. Rude et forte, énergique et concise, brève jusqu’à la sécheresse, dure jusqu’à l’âpreté, la langue catalane est la moins harmonieuse des langues novo-latines, la moins propre à la musique et à la poésie. Ce n’est qu’en descendant vers les régions de l’Ebre qu’elle semble s’adoucir et s’humaniser un peu. Nulle part elle ne dépouille sa rudesse native, son caractère raboteux, et partout elle le cède au français en précision, à l’italien en mélodie, à l’espagnol en sonorité. Pour tout dire sans atténuation, le catalan a quelque chose de rustique et de grossier. Peut-être vaudrait-il mieux le laisser tel qu’il est que de s’exposer à le dénaturer en prétendant le polir.

Comme Barcelone concentre toute l’activité littéraire de la Catalogne, les boutiques des libraires donnent une très juste idée du mouvement des esprits. C’est aux livres qu’ils préfèrent qu’on reconnaît les peuples comme les individus. Malgré l’université, malgré les sociétés savantes et littéraires, malgré la renaissance inaugurée depuis quarante ans, malgré toutes les productions de la littérature locale et les feuilles de propagande avec ou sans images, ce n’est point l’élément catalan qui domine dans la librairie. La plupart des volumes et brochures exposés aux regards des passans proviennent de Madrid. Après l’espagnol vient le français : quelques romans, des livres de science facile ou vulgaire, des traités scientifiques, beaucoup d’ouvrages de seconde main : abrégés, manuels, résumés ; de rares nouveautés, comme on dit dans le commerce, peu ou point de vers ; c’est du Parnasse castillan que descendent les eaux dont s’abreuvent les amateurs de la poésie. Peu ou point d’anglais ; rien d’allemand ; presque rien d’italien ; de portugais, néant. La plupart des feuilles volantes : chansons, complaintes, caricatures ornées de légendes, arrivent par ballots de la capitale, de la cour (la corte), ainsi que les revues et les journaux. La menue monnaie de la littérature populaire n’a plus de cours, et la littérature populacière, si goûtée autrefois, tend visiblement à disparaître. L’élément exotique prévaut sur l’élément local.

Le peuple catalan paraît absolument indifférent aux efforts et aux tentatives des beaux esprits : il ne prend aucune part à l’œuvre laborieuse de la renaissance des lettres. Il lui faudrait, pour en goûter les fruits, une instruction et un esprit qu’il n’a point ; et les rénovateurs sont trop amoureux de l’art fin et délicat pour songer à faire l’éducation du peuple. Comme l’éloquence des prosateurs, la