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I. — LE LITTORAL.

Pour entrer de plain-pied dans la Catalogne, le plus court est de prendre le chemin de fer du Midi, soit à Cette, soit à Bordeaux. Quel que soit le point de départ, on n’arrive à la frontière qu’après avoir traversé la Catalogne française, dont la capitale est Perpignan. Tout le département des Pyrénées-Orientales est de langue catalane : le catalan est toujours populaire dans cette région extrême de la France, malgré la proscription officielle qui le frappa tout à la fin du XVIIe siècle. Dès le XIIe, le Roussillon et la Cerdagne relevaient de la couronne d’Aragon ; au XIIIe, ils faisaient partie du royaume de Majorque ; la France ne les posséda définitivement qu’après le traité des Pyrénées. La plupart des habitans sont d’origine catalane, comme on le voit par les noms de famille. L’idiome natif se trouve notamment altéré, et par l’influence permanente de la langue officielle, et par le contact des patois voisins. A vrai dire, ce catalan hybride n’est plus qu’un patois, un dialecte dégénéré, et il n’y a point d’autre trait d’union entre les deux frontières. Au-delà, c’est un changement brusque et pour ainsi dire sans transition.

Le voyageur philosophe n’a qu’à faire provision de patience, s’il veut voyager avec fruit. Ce n’est pas en Espagne qu’il faut aller quand on est pressé d’arriver. Les chemins de fer y sont d’une lenteur désespérante pour quiconque est économe de temps. La plus grande vitesse ne dépasse point 35 kilomètres à l’heure. Il est donc permis de dormir à son aise, si l’on voyage la nuit ; et en voyageant le jour, il est aisé de voir le paysage tout à loisir. À cette lenteur, la curiosité trouve son compte. Ce n’est point avec l’express ou le rapide qu’il est possible de contenter les yeux. Il est vrai qu’un train qui ne brûle point la voie ferrée peut être plus facilement arrêté par une bande de brigands ; mais, en prévision de pareille éventualité, le gouvernement espagnol fait escorter les convois par un piquet de gendarmes. La gendarmerie ou la garde civile, qu’il ne faudrait pas confondre avec la garde nationale, a toute sorte d’utiles emplois : elle protège les voyageurs et les marchandises, elle arrête le choléra à la frontière. Il est vraiment fâcheux que ces vaillans gardiens de la santé publique, qui reçoivent les épidémies à coups de carabine, soient semblables aux soldats qui, du temps de Malherbe, montaient la garde aux barrières du Louvre. Le fléau cosmopolite se moque indifféremment des gardes-côtes, des cordons sanitaires et des lazarets. Mais à quoi bon parler des quarantaines ? Si ceux qui les prescrivent et les multiplient libéralement en avaient tâté, peut-être seraient-ils moins empressés d’infliger aux gens en voyage huit ou dix jours de prison préventive. C’est une pénalité