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Nous n’avons pas à discuter ici la question philosophique, d’abord parce qu’il y faudrait trop de place, et puis, parce que la solution, dans l’espèce, nous en est parfaitement indifférente. Il en est en effet de la raison comme de la liberté. Soyons raisonnables, ne le soyons pas, il n’importe, si nous croyons l’être ; mais du moment que nous croyons l’être, la raison a sa part, sa part considérable, et sa part légitime dans le gouvernement des affaires de ce monde. La science enseigne aussi que la couleur, le rouge ou le bleu, n’est pas dans les choses, mais dans notre œil, et nous n’y faisons pas difficulté. Si cependant, au lieu d’être dans notre œil, la couleur était effectivement dans les choses, en quoi l’art de peindre en serait-il changé ? Tout de même, sommes-nous libres ? c’est une question ; et sommes-nous raisonnables ? c’en est une autre. Mais toute société parmi les hommes n’en continue pas moins de reposer sur l’hypothèse de la raison et de la liberté comme sur son unique fondement. Pas de loi qui n’implique, dans l’entière étendue que donne au mot le langage courant, la liberté de l’agent dont elle règle les actes, et pas de discipline qui ne réclame l’assentiment de celui qu’elle prétend gouverner. Quel est le contrat dont la liberté ne soit présupposée l’essence, à ce point que, dans toutes les législations, le manque des conditions extérieures de la liberté chez l’une des parties suffit à vicier le contrat ? Mais quelle est la pénalité qui ne se fonde sur la reconnaissance ou l’aveu de la faute par la raison de celui qu’elle frappe, à tel point qu’où manquent les apparences de la raison, la faute est censée manquer ? Illusion ou vérité, chimère ou réalité, quoi qu’en puissent penser les métaphysiciens, la raison est donc un élément du gouvernement des choses humaines, et il faut la compter comme telle. C’est justement ce que M. Taine ne saurait pardonner à nos révolutionnaires. Ils ont cru que la raison devait avoir part au gouvernement des peuples et ils ont prétendu faire entrer, jusque dans les lois positives, le plus qu’ils pourraient d’idéal rationnel. Mais, pour les motifs que nous venons de dire, et indépendamment de toute philosophie, le droit incontestable qu’ils avaient de l’essayer et de le croire, voilà l’un des élémens que M. Taine a omis dans son analyse de l’esprit révolutionnaire.

Et qu’a-t-il fait encore de cet « honneur » et de cette « conscience n que lui-même tout à l’heure, et à bon droit, nous vantait si haut ? Veut-il nous faire croire qu’honneur et conscience, dix ans durant, aient passé tout entiers du côté des ennemis de la révolution ? qu’ils se soient incarnés uniquement dans la personne d’un M. de Rivarol, par exemple, ou d’un comte d’Entraigues ? et qu’au contraire, dans l’âme d’un Lafayette ou d’un Bailly, d’un Lanjuinais ou d’un Vergniaud même, j’oserai dire jusque dans celle enfin