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trois gros volumes, une recherche dont l’effort ne sera pas toujours suivi de succès. On lui reproche encore d’avoir outre mesure développé certaines parties de son sujet, tandis qu’au contraire il en écourtait, pour ne pas dire qu’il en étranglait trop arbitrairement quelques autres. C’est ainsi, notamment, qu’en regard de ce que les assemblées révolutionnaires ont sans doute commis d’erreurs, de fautes politiques et de crimes, M. Taine a négligé de rappeler ce que, d’autre part, elles ont réalisé de réformes utiles, rendu de grands services, ou accompli d’œuvres qui durent encore. Est-il bien sûr, pour ne parler que d’elle, d’avoir porté sur la Constituante un jugement équitable ? Et, si comme il en convient lui-même quelque part, elle n’a pas laissé de « semer de bons germes, » l’impartialité n’exigeait-elle pas qu’il en fit une plus exacte, plus ample et plus reconnaissante énumération ?

Comme on avait trouvé que dans son premier volume l’historien passait trop rapidement sur la Constituante, on s’est communément accordé pour penser que, dans le troisième, il avait trop lestement expédié le gouvernement du Directoire. Mais peut-être ici se trompe-t-on. Bien qu’en effet le Directoire n’ait pas rempli moins de cinq années de l’histoire de la révolution, il s’en faut de beaucoup que son importance réelle se proportionne à sa durée. C’est de 1789 à 1795, de la convocation des états généraux à la séparation de la Convention, que la révolution s’est faite, entièrement faite ; et de 1795 à 1800, c’est-à-dire de la séparation de la Convention à l’avènement du Consulat, rien au dedans ne s’est produit qui veuille être examiné de si près. La conspiration de Gracchus Babeuf elle-même, ou le coup d’état du 18 fructidor, n’eussent offert à M. Taine l’occasion de rien dire qu’il n’eût dit à l’occasion de coups d’état plus fameux ou de conspirations plus vastes et plus heureuses. Le Directoire, dans l’histoire intérieure de la révolution française, n’a joué d’autre rôle, si je puis ainsi dire, que celui de trait d’union entre la Convention expirante et le Consulat naissant, son légitime héritier. Tout au plus peut-on dire qu’insignifiant au point de vue de l’histoire intérieure de la révolution, le Directoire n’a pas moins son importance dans l’histoire générale. Le traité de Bâle, effectivement, et le traité de Campo-Formio sont des dates, ou, comme on disait jadis, des époques dans l’histoire de l’Europe ; et quelque jour il se pourrait que l’expédition d’Egypte en dût marquer une dans l’histoire du monde. J’espère bien que, dans le dernier volume de ses Origines, M. Taine s’expliquera sur l’expédition d’Egypte comme sur la campagne d’Italie, quand ce ne serait que pour y chercher quelques traits de la psychologie de l’homme extraordinaire dont elles sont les coups d’essai dans l’histoire ; mais, en