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la bonté ? Et quelles raisons enfin nous interdisent de concevoir cet homme universel aussi naturellement et foncièrement mauvais qu’il a plu à quelques-uns de se le forger bon, vertueux, et raisonnable ?

N’est-ce pas ainsi d’ailleurs, en France même, et quoi que M. Taine en dise, que l’ont conçu nos philosophes et nos politiques du XVIIe siècle ? Qui croit alors à la bonté native de l’homme ? Est-ce La Rochefoucauld ? dont les Maximes font entrer le vice dans la composition de tout ce que les hommes ont appelé du nom de vertu ? Est-ce Pascal ? dont les Pensées n’assignent d’origine à la justice même que la coutume établie et consacrée par la force ? Est-ce Bossuet ? qui dans son Traité de la concupiscence a si fortement dit qu’aussitôt que la raison commençait à poindre, tous les vices en même temps se déclaraient, et que quand son exercice commençait à devenir plus parfait, c’était alors que commencent aussi les plus grands dérèglemens de la sensualité ? Mais si ce n’est ni Bossuet, ni Pascal, ni La Rochefoucauld, si ce n’est pas davantage l’auteur du Léviathan ou celui du Traité théologico-politique, aucun de ceux qui, dans l’Europe du XVIIe siècle, ont exercé tour à tour ou simultanément le gouvernement des esprits, pas plus Hobbes que Pascal, et pas plus Spinoza que Bossuet, — comment M. Taine peut-il bien imputer à leur philosophie, sous le nom de « raison oratoire et classique, » une part de responsabilité dans la formation des doctrines qui, comme celle de Diderot et de Jean-Jacques, en sont la contradiction même ? Comment ? Je le sais bien ; parce qu’il a fait une fois son siège, voilà plus de vingt ans, et que ni dans son Ancien régime ni dans sa Révolution, il n’a voulu le refaire. Ce serait donc à nous d’y procéder ; mais, comme nous l’avons dit, nous voulons nous en tenir à sa seule Révolution, et des deux erreurs de doctrine qu’il reproche à nos assemblées révolutionnaires, il nous suffit d’avoir montré que la première n’en est pas une, et que la seconde, ni en bonne logique, ni surtout dans la réalité de l’histoire, ne dépend de la première.

Sous cette double restriction, nous ne saurions trop louer maintenant, entre plusieurs autres, les deux chapitres de ce troisième volume où M. Taine a reconstitué le Programme jacobin. Ce qu’il a surtout admirablement fait voir, c’est ce que ce programme avait de plus rétrograde encore que d’abstrait ou d’impraticable. Sans doute, on avait bien des fois avant lui remarqué cette espèce d’obsession de l’antique, ces ressouvenirs et ces imitations de Rome et de la Grèce, qui d’ailleurs s’étalent assez publiquement dans les discours, les actes, les institutions de la révolution. Mais, où l’on n’avait vu que de pédantesques réminiscences,