Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/417

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

exemple, aux Italiens, ne conviennent pas aux Provençaux, ou si celles encore qui seraient bonnes pour les Bas-Bretons ne le sont pas pour les Anglais, les lois que l’on fera pour les Bas-Bretons conviendront-elles aux Provençaux ? Qui des deux en effet diffère-le plus de l’autre ? L’habitant de Marseille d’avec celui de Gênes ? Le natif de Saint-Malo d’avec celui de Southampton ? Ou le Marseillais et le Malouin entre eux ? Les philosophes du XVIIIe siècle, et les Constituais leurs disciples ont peut-être abusé de ce qu’il y a de ressemblances entre les hommes, sous quelque latitude et à quelque moment de l’histoire qu’ils soient nés ; mais, à notre tour, n’exagérons pas ce qu’il peut y avoir de différences entre des hommes qui, malgré tout, comme Anglais et Français, sont de la même race, ont vécu de la même civilisation, et ne se distinguent pas plus de peuple à peuple que de province à province, ou de comté à comté. Pour différens qu’ils soient, la différence ne les empêche pas d’être capables des mêmes lois ou des mêmes institutions. Car le point par lequel ils se ressemblent le plus, c’est encore leur façon de concevoir la vie, les raisons de vivre, les moyens de s’en assurer l’usage et la possession, qui est précisément ce que les lois sont chargées de fixer. A qui M. Taine fera-t-il croire que si l’on proclamait aujourd’hui l’habeas corpus à Pékin ou à Constantinople, la plupart des Turcs ou des Chinois s’en plaignissent comme d’une fâcheuse atteinte à leurs traditions nationales ? Et je suis persuadé que sous toutes les latitudes, à l’heure même qu’il est, bien des peuples, — les Irlandais par exemple, — s’accommoderaient assez des principes de 1789. En seraient-ils plus heureux ? C’est une autre question. Mais cela suffit pour prouver qu’en légiférant pour leur homme « abstrait, » ni la Constituante, ni la Convention n’ont commis une si grossière erreur. Il y a de l’homme, dans tous les hommes ; et le reste, en se superposant à cette humanité, ne l’anéantit pas. Nous le croyons avec tous les hommes, nous le croyons avec les « philosophes, » nous le croyons avec nos assemblées révolutionnaires, et nous le croyons enfin avec M. Taine lui-même, qui ne limite jamais aux seuls Français du xviu0 siècle la portée des « lois psychologiques » dont il cherche la preuve dans l’histoire de la révolution française.

C’est d’une autre manière que l’on s’est trompé, beaucoup plus grave, que M. Taine a très clairement vue, dont il a suivi toutes les conséquences, mais que je ne m’explique pas qu’il ait voulu lier à la conception de cet homme abstrait des philosophes, car elle n’en dépend ni de près ni de loin, et pas plus en logique qu’en fait. L’erreur est d’avoir cru, selon la formule des encyclopédistes, et posé en principe, que cet homme universel était né