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le chien, animal aboyant. Tout cela est vrai, on l’a dit, on le redira, on fera bien de le redire, parce que cela est utile à dire, étant bon à savoir, mais, cependant, et quand on l’a dit, que pense-t-on avoir prouvé ?

Si ces différences, d’abord, sont si profondes, comment et pourquoi donc M. Taine, quand il essaie de préciser le reproche, n’en veut-il de rien tant à nos assemblées révolutionnaires que de n’avoir pas constamment imité les exemples politiques de l’Angleterre ou de l’Amérique ? Il ne va pas jusqu’à dire, il est vrai, que les hommes de 1789 eussent dû confier aux mains d’Edmond Burke ou de William Pitt l’avenir de la révolution française, mais il insinue de toutes les manières que si quelques conseils les eussent pu guider dans la vraie voie, c’était ceux de Jefferson et de Gouverneur Morris, ou d’André Dumont et de Mallet du Pan. Je ne voudrais pas insister ; mais il faudrait cependant s’entendre, et l’alternative est inévitable. Ou les exemples de l’Angleterre n’étaient pas bons, étaient même dangereux et funestes à suivre pour des Français du XVIIIe siècle, et M. Taine doit louer la Constituante de ne les avoir pas suivis ; ou ils l’étaient, et en ce cas, il convient lui-même que les constitutions politiques n’ont rien d’aussi particulier qu’il voulait bien le dire, d’aussi spécial, et d’aussi national aux peuples qu’elles régissent. C’est ce que j’ose croire. Quoi qu’en dise M. Taine, et quoi qu’en ait dit Joseph de Maistre, on ne peut légiférer, on n’a jamais légiféré que pour cet homme abstrait dont ils se raillent. La raison n’en est-elle pas claire ? Il n’y aurait pas de corps de nations dans l’histoire, si jamais les hommes avaient autrement conçu la nature des gouvernemens ; et le jour où triompherait cet excès d’individualisme, il n’existerait plus dans le monde que des poussières de peuples. M. Taine reprochait tout à l’heure à nos assemblées de n’être pas tombées dans l’erreur qu’il commet perpétuellement lui-même ; on peut dire qu’il tombe maintenant dans l’erreur qu’il a tant reprochée au philosophe leur inspirateur. A une grande nation de vingt-cinq millions d’hommes le rêveur de Genève proposait d’appliquer les lois et les usages de sa petite république, et son contradicteur nous propose de légiférer pour trente-six millions d’âmes comme à peine le pourrait-on faire pour la république du Val d’Andorre ou la principauté de Monaco.

Car enfin, où commencera, selon M. Taine, où finira cet homme « concret, » ce Français, cet Allemand, cet Anglais que le législateur doit avoir uniquement en vue ? Chacun de nous vivra-t-il sous son statut personnel ? et ne pourra-t-il être obligé par aucune autre loi que celle que l’on aura faite à son usage particulier ? La France est grande, l’Allemagne aussi. Si des lois qui conviendraient, par