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Cyprien s’est retiré, et qu’il a bien fait, parce que c’était un personnage trop en vue. toute l’histoire de Cyprien témoigne d’ailleurs de l’autorité et de prestige qu’il n toujours conservés. Et cependant, au milieu même des hommages qui lui sont rendus, on sent qu’il y a là un regret. Un an avant l’époque de son martyre, l’an 257 de notre ère, Cyprien fut cité devant le proconsul. Il ne s’enfuit pus cette fois ; il comparut et il confessa, suivant l’expression consacrée. Il fut condamné à l’exil et transporté dans la ville de Curube. C’est de là qu’il écrivit à toute une troupe de confesseurs, évêques, anciens, diacres et autres, condamnés aux mines pour la foi, une lettre de félicitation et d’exhortation tout ensemble, qui nous a été conservée. Nous avons aussi la réponse des confesseurs, et dans cette réponse, après tous les éloges qu’ils devaient aux talens et aux vertus de l’évêque, ils ajoutent : « Tu sais bien toi-même, frère bien-aimé[1], que c’est pour nous l’accomplissement de tous nos vœux de voir que notre maître et notre ami est arrivé à la couronne de la confession solennelle (dans cette comparution devant le proconsul). » évidemment, il lui manquait jusque-là quelque chose. Il ne faut pas oublier qu’au commencement même du siècle, le fougueux Tertullien, le grand docteur de l’Afrique, et que Cyprien tout le premier reconnaissait pour son maître, avait écrit un livre éloquent contre la Fuite dans la persécution. Il la reproche à tous, dans son zèle emporté, mais par-dessus tous aux diacres, aux anciens et aux évêques. On comprend donc que les confesseurs aient été heureux de voir cette espèce de tache effacée. Mais ils ne prévoyaient pas, en lui écrivant ainsi, que si peu de temps après il devait recevoir une autre couronne, celle du martyre sanglant.

Revenons à cette retraite, par laquelle, sept ou huit ans auparavant, au début de la persécution de Décius, et au début aussi de son épiscopat, il se déroba aux fureurs publiques. D’abord il dut absolument disparaître et il ne subsiste aucune trace de la manière dont il laissa passer les premières violences ; mais la crise fut courte et ne tarda pas à se relâcher. Il ne se montra pas tout de suite ; c’aurait été tout compromettre et risquer, dit-il, de troubler la paix ; la persécution était refroidie, mais non pas éteinte ; le cirque et l’amphithéâtre se remplissaient peut-être encore du cri : « Cyprien au lion ! » Pontius nous parle de ce cri plusieurs fois répété, et un passage d’une lettre de Cyprien, écrite bien plus tard, le fait encore retentir à nos oreilles ; mais bien avant de revenir, il put se remettre en communication avec son église par des lettres qu’il faisait circuler parmi les fidèles. Son

  1. A la fin de la lettre ils disent : « Seigneur et frère, domine frater. »