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heureuse de ce que le chef des sectaires se soumettait lui-même ainsi dans une certaine mesure, puisqu’il renonçait à la résistance ouverte[1].

Mais une telle démarche de la part du nouvel évêque n’était pas brillante et ne semblait guère d’accord avec le prestige de ses débuts. On voit par le récit de Pontius, qui écrit pourtant quand Cyprien a couronné une vie illustre par l’éclat suprême du martyre, qu’il demeure encore embarrassé de ce souvenir. Il fait sentir combien l’église de Carthage aurait perdu si son évêque était mort à cette époque, sans avoir eu le temps de faire rien de tout ce qu’il a fait depuis pour elle. Il nous dit que ce n’est pas évidemment qu’il ait eu peur, puisqu’il n’a pas eu peur plus tard ; il n’a fui que pour obéir à un conseil divin, parce qu’on avait besoin de lui. Cyprien lui-même, lorsqu’après la persécution il reprend la parole au milieu des siens, s’applique soigneusement à excuser cette retraite : « Celui qui n’a pas fait acte de gentil a par cela même confessé la foi chrétienne. L’honneur suprême dans la victoire est de confesser le Seigneur entre les mains des gentils ; mais c’est approcher de cette gloire que de se dérober par une retraite prudente pour se réserver au Seigneur. » Et il se vante de n’avoir pas été atteint par la maladie qui a fait tant de ravages ; il est vivant, il est sain au milieu de tant de morts. Et plus loin : « La couronne, c’est de Dieu qu’il faut la tenir, et on ne peut la prendre s’il n’est pas l’heure de la recevoir. »

Sa retraite paraît, en effet, avoir été un acte de bonne politique. Elle apaisait l’irritation des puissans et devait rendre la persécution moins âpre. Et en même temps elle conservait à l’église un chef qui lui était précieux. Dès que la première violence de la crise est passée, il recommence à agir ; il ne reparaît pas encore à Carthage, car sa présence serait une bravade qui irriterait les gentils et réveillerait les poursuites ; mais il écrit et gouverne par lettres son troupeau ; il célèbre les martyrs qui ont succombé, il encourage les confesseurs qui souffrent encore : il recueille de l’argent et le distribue ; il n’épargne pas le sien ; il rallie les esprits qui pourraient se laisser entraîner dans diverses voies ; il maintient dans son troupeau l’unité qui fait sa force. Son clergé l’approuve, et ce clergé, en écrivant à celui de Rome (il n’y avait pas alors d’évêque à Rome, l’évêque ayant été mis à mort), lui annonce que

  1. Ceux qui se dérobaient ainsi à la justice romaine étaient menacés de la confiscation de leurs biens. On apposait des affiches qui portaient : « Quiconque détient ou a en sa possession quelque chose des biens de Cæcilius Cyprianus, évêque des chrétiens, etc. » Cela ne se concilie pas tout à fait avec ce que dit Pontius, qu’a sa conversion Cyprien avait tout vendu et donné aux pauvres.