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lettres d’Espagne, dit l’ambassadeur de Venise au sénat (13 octobre 1504) racontent avec quelle rigueur on tient enfermé le Valentinois. Ici on instruit son procès pour le meurtre du duc de Gandia et celui de son beau-frère, avec la pensée de lui infliger la mort. » Jamais le silence ne se fit entièrement sur le prisonnier ; on le regrettait dans les Romagnes, où, à chaque instant, on s’attendait à le voir reparaître. Jules II déployait une extrême rigueur ; il tentait de terrifier ses partisans et de décourager ses anciens sujets. A Pesaro, Giovanni Sforza, l’ancien mari de Lucrèce, avait repris possession de sa seigneurie et se vengeait de tous ceux qui s’étaient ralliés au Valentinois. Michelotto, le capitaine des gardes, était gardé à vue dans les prisons du Vatican. Le pontife voulait se servir de lui pour perdre César aux yeux de ses propres partisans, et faire trahir le secret de ses crimes par celui qui en avait été le complice et l’exécuteur. Soudain, le 13 janvier 1505, du nord au sud de l’Italie, on parla de la mise en liberté du prisonnier. Le bruit partait de Rome où les cardinaux espagnols entretenaient l’agitation au profit du fils d’Alexandre. « Ici, écrit Giustiniani au sénat de Venise, on dit publiquement que le roi d’Espagne a libéré le Valentinois ; il lui a envoyé une escorte honorable en lui faisant dire qu’il ne se bornera pas à le tirer de prison, mais qu’il prétend se servir de son bras pour les affaires d’Italie. Tous ceux qui lui sont restés attachés sont pleins d’allégresse. » A la même date, l’envoyé florentin donnait la même nouvelle aux « dix de la Balia ; » mais, le 11 février suivant, le Vénitien démentait sa dépêche précédente : « Le dit Valentinois est tenu plus étroitement que jamais, car on a découvert qu’il avait tenté de fuir. Ses partisans ici sont outrés. » Il y avait cependant quelque chose de vrai dans la rumeur qui avait failli soulever les Romagnes et terrifié le Vatican. Dans les premiers mois de l’année 1506, Ferdinand le Catholique avait effectivement jeté les yeux sur César pour lui confier des troupes et l’envoyer en Italie afin de s’emparer de Gonzalve de Cordoue, qu’il regardait désormais comme un traître. Quelle revanche pour César ! Le roi d’Espagne demanda même alors à son gendre, le régent Philippe le Beau, de lui envoyer le prisonnier ; celui-ci n’obéit point. Philippe, fils de l’empereur Maximilien, avait des prétentions personnelles à la couronne de Castille, et lui aussi comptait sur l’épée du Valentinois. De sorte que cet homme désarmé, battu par le sort, derrière les murs d’un cachot, était encore regardé comme une force par les deux partis qui allaient se disputer l’héritage d’Isabelle la Catholique. L’année 1506 fut une année troublée pour l’Espagne ; parmi les princes feudataires de la couronne, les uns tenaient pour Philippe, les autres pour Ferdinand ; César, en habile conspirateur,