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reçut en soldat ; il devint pendant quelque temps son familier, vécut librement dans la ville, déployant un certain train et montrant une parfaite aisance. Il venait souvent au Castello-Nuovo s’asseoir à la table du vainqueur du Garigliano, exposant chaque fois ses plans, ses idées militaires, pesant les chances de réussite qu’offrait la politique du moment. Gonzalve fut séduit ; il lui conseilla de rallier ses capitaines, l’autorisa à organiser des milices et convint même de fournir les galères pour inquiéter les Florentins et aller au secours de Pise. César formerait des escadrons, préparerait son artillerie et rallierait ses compagnons d’armes. Le capitaine se sentait dans son élément, Pise venait de lui envoyer un ambassadeur, il renaissait à l’espérance. Appuyé sur l’Espagne, il allait faire encore de grandes choses et se venger des Florentins. Le 25 mai, tout semblait résolu, les milices étaient prêtes, les rendez-vous donnés aux divers officiers, César allait partir ; on avait même, dans la journée, chargé les derniers canons à bord des galères : il vint le soir à Castel-Nuovo prendre congé de Gonzalve ; celui-ci l’embrassa et lui souhaita bonne chance ; mais, au moment où il allait franchir la poterne, Nugnio Campeo, le commandant du fort, lui demanda son épée : « Au nom du roi de Castille ! »

C’était l’œuvre de Jules II ; en face des nouvelles manœuvres du Valentinois, il avait envoyé un ambassadeur en Espagne pour se plaindre de l’attitude du royaume à son égard, dénoncer les préparatifs de Gonzalve et la protection accordée au fils de Borgia ; sans doute il avait garanti la vie de César, mais, de son côté, le Valentinois n’exécutait point ses engagemens, et les forteresses tenaient toujours. Le pontife dénonçait donc ces nouvelles intrigues : de Naples, César devait aller à Pise avec les galères d’Espagne ; et, par la Garfanagna, il entrerait dans les Romagnes et mettrait le feu à l’Italie. D’ailleurs, il fallait s’attendre à le voir bientôt trahir l’Espagne comme il avait trahi le saint-siège : le roi catholique prévenu, c’était à lui d’aviser. La réponse aux doléances de Jules II ne s’était point fait attendre ; pourtant, Gonzalve, au nom du roi d’Espagne, avait signé un sauf-conduit que César avait fait passer à son fidèle capitaine Baldassare da Scipione ; Prosper Colonna s’empara de ce dernier et annula le gage. Ce n’était pas assez ; il s’agissait désormais d’obtenir du prisonnier la reddition définitive des forteresses. Trois longs mois s’écoulèrent en entrevues, en ruses, en menaces et en intrigues, avant qu’on pût arracher au Valentinois l’ordre formel de livrer les places ; il ne céda qu’en échange d’une nouvelle promesse de liberté ; et c’est alors que, donnant à Gonzalve de Mirafonte, qui avait juré de mourir dans la Rocca de Forli, l’ordre impérieux d’en ouvrir les portes, il ajouta : « Décidément la