du cardinal de Rohan. Jules II le prit de haut et refusa. Borgia en appela alors à Hercule d’Esté, qui l’abandonna. Heure par heure, la situation empirait. Le pontife organisait son armée pour résister aux Vénitiens et venait d’appeler Guidobaldo, duc d’Urbin, pour remplacer César, comme capitaine général des troupes du saint-siège. Quoique Borgia eût enlevé au duc d’Urbin son duché et fait transporter à Cesena toutes les richesses amoncelées par Frédéric de Montefeltre dans le beau palais de la ville, il osa demander une entrevue au nouveau capitaine ; et c’est à Guidobaldo lui-même qu’il remit les lettres par lesquelles il autorisait ses propres officiers à l’abandonner dans cette cruelle épreuve. Comme témoignage de sa sincérité, Pier d’Oviedo, gentilhomme du Valentinois, servirait d’otage, tandis que Carlo da Moncalieri représenterait le saint-siège. Oviedo partit pour Cesena ; il entra seul dans la forteresse, muni des lettres de César, et les autres envoyés du Vatican restèrent au pied du rempart. Pier Remirès, qui commandait, lut les pouvoirs, mais à peine en eut-il compris la teneur, il ordonna de poignarder le gentilhomme qui avait osé se charger d’un tel message. Pour comble à un tel forfait, il fit pendre le cadavre et cria du haut du rempart : « Je ne rendrai la forteresse que quand le duc sera libre, c’est ainsi que je punis les traîtres. » À cette nouvelle, Jules II ne put se contenir, mais comme le traité passé avec César au moment du conclave l’enchaînait, il se résolut à accélérer l’action judiciaire intentée par les Orsini, afin de pouvoir légalement ruiner le Valentinois, le perdre et, s’il était condamné, l’exécuter. La mère de César, la Vanozza, était restée dans Rome avec les deux enfans naturels de son fils ; elle s’enfuit à Naples pour supplier le marquis de Mantoue, Gonzague, qui était leur parrain. César résistait toujours ; au milieu du mois de décembre, Machiavel, qui ne le perdait pas de vue, fut le visiter encore une fois. Il le trouva armé de patience, comme un homme qui a envisagé la mort. Il habitait toujours les appartemens du trésorier et conservait son élégance et son faste habituels ; ses secrétaires et ses gentilshommes lui étaient restés fidèles ; Giovanni Vera entre autres, son ancien précepteur de Pise, qui avait pour lui une vive affection, ne le quittait pas. Machiavel le vit, couché sur son lit et regardant jouer aux échecs ; de temps en temps, on annonçait quelque cardinal espagnol qui bravait le saint-siège pour venir le saluer ; le Valentinois se levait, parlait parfois avec une rage froide et concentrée, et raillait ces puissans qui avaient peur d’un homme enchaîné, malade, qui grelottait la fièvre « et dont personne, disait-il, n’aurait garanti la vie pour une heure. » Cependant, dans une dépêche postérieure, le secrétaire florentin, qui l’a revu, ne peut s’empêcher de reconnaître que
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