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par des actes indiscrets l’attention de l’autorité. Cinquante ans plus tard, celle-ci perdit patience, et en certains pays, comme en Égypte et en Afrique, sévit avec éclat contre les chrétiens. On essaya de les intimider par toutes les espèces de violences que la justice criminelle comportait alors. On en jetait beaucoup dans les cachots ou dans les mines (les travaux forcés d’alors) ; on en tua quelques-uns ; mais surtout on imagina de venir à bout des plus indociles par les tortures, employées non plus, comme dans la procédure ordinaire, pour forcer un coupable d’avouer son crime, mais au contraire pour forcer un croyant de renier sa foi.

« Etrange renversement des rôles, contre lequel Tertullien proteste avec éloquence (Apol., 2). Mais il ne faut pas le prendre pour l’acharnement d’une puissance ennemie ; c’était au contraire la marque que l’autorité se sentait vaincue et reculait devant l’application de ses lois. On avait cru d’abord qu’il suffirait, pour forcer le christianisme à s’effacer, de frapper de mort ceux qui s’affichaient ; on vit qu’il faudrait trop tuer si on continuait de la sorte. Les chrétiens s’ameutaient et mettaient le juge au défi en disant : Frappe-nous tous ! On recourut aux verges, aux chevalets, aux griffes de fer, aux lames ardentes. Tel qui bravait la mort ne pouvait supporter la douleur et cédait sous ses étreintes. Dès lors il était sauvé et libre, et le magistrat se trouvait affranchi de la nécessité pénible et odieuse de faire mourir des innocens. Ceux dont l’énergie résistait même aux tortures n’étaient plus qu’un petit nombre, qu’on pouvait se résoudre à sacrifier, ou, si on les épargnait, ils avaient encore servi à en sauver d’autres en les effrayant. Cette explication, ce n’est pas moi qui l’invente ; ce sont les chrétiens du temps qui nous la donnent ; on peut la lire dans le livre de Minucius Félix (Octavius, 28). On comprend d’ailleurs qu’ils aient été peu reconnaissans d’une telle espèce d’humanité et qu’ils s’en montrent exaspérés, au contraire[1]. »

Mais il était déjà trop tard alors pour arrêter la propagation du christianisme, qui avait tout envahi. Et c’est à cette date qu’Origène écrit en termes exprès que le nombre de ceux qui sont morts pour leur foi se réduit à très peu de chose, tandis que Dieu a empêché qu’on ne fit à la communauté chrétienne une guerre d’extermination qui l’aurait détruite (Contre Celse, 3, 8.)

Cette crise de persécution, au début du IIIe siècle, avait été courte, et depuis qu’elle avait fini jusqu’à Decius, il s’était passé quarante ans. Depuis quarante ans donc l’église d’Afrique était comme toutes les autres en pleine paix, et, ne se sentant pas menacée, elle

  1. J’ai reproduit ici une page de mon livre : le Christianisme et ses Origines, t. IV, ch. VIII.