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le Valentinois, s’élevaient déjà des rumeurs ; on s’apprêtait à l’attaquer jusque dans le Vatican. Toutes les portes de Rome étaient gardées à l’extérieur, il ne pouvait plus s’échapper ; s’il essayait de fuir du côté de la mer, par Ostie, Mottino, l’ancien capitaine des galères d’Alexandre VI, se chargeait de le livrer à la ligue. Douze jours à peine s’étaient écoulés depuis le moment où César était rentré à Rome plein d’espérance ; comprenant l’imminence du danger, il tenta d’en sortir par la porte Viridaria, dont il avait soudoyé les gardes, et il s’avançait déjà quand deux de ses compagnies tournèrent bride et le trahirent. Les Espagnols partis, ses troupes s’égrenaient ; il ne lui restait plus que 70 chevau-légers, et Orsini, bien accompagné, coupait la route. Il fallut rentrer à toute bride et s’enfermer dans le Vatican ; on allait l’y assiéger. L’Alviano, capitaine de la ligue, le cherchait, criant : « Mort ou vif ! » Fabio Orsini et Renzo de Ceri s’étaient chargés de donner l’assaut au « Borgo, » que César avait fortifié. On le prit ainsi entre deux feux ; en incendiant la porte Torrione, il était facile de pénétrer dans le Vatican. Le Valentinois était à deux doigts de sa perte ; les cardinaux Borgia, de Salerne, d’Arborea et de Sorrente, le firent alors passer par le souterrain qui, de Saint-Pierre, conduit dans le môle d’Adrien ; ses deux fils naturels et les petits ducs de Nepi et de Sermoneta le suivirent. Cette fois, César était traqué comme une bête fauve ; on mit son palais du Borgo à sac et on détruisit tout ce qu’il possédait, sauf les objets précieux ramassés à la hâte et envoyés à Ferrare sous le couvert du cardinal d’Esté. Les Orsini, voyant que Pie III le protégeait encore et le cachait à leurs coups, changèrent de tactique, et, renonçant à employer la force, intentèrent à leur ennemi une action judiciaire comme spoliateur des biens des barons, demandant qu’il fût gardé à vue dans le château Saint-Ange jusqu’à ce que l’arrêt fût rendu. L’appui du pontife, joint aux démarches des cardinaux espagnols, pouvait encore le sauver ; il aurait fui la nuit, déguisé en moine, afin de rejoindre Micheletto à Rocca Soriana, et, une fois là, rappelant Baldassare da Spicione et Taddeo della Volpe, ses capitaines, il se serait jeté dans les Romagnes. Tel était son plan ; mais, nouveau coup du sort, le 18 octobre, cinq jours après qu’il était entré dans le môle d’Adrien, Pie III mourait subitement après vingt-sept jours de pontificat.

On peut croire que César est terrassé ; mais Machiavel, qui a quitté Florence en toute hâte pour venir à Rome, le voit, le 26 octobre, dans sa prison, et écrit le jour même aux dix de Florence : « Le duc est enfermé dans le château ; il espère plus que jamais faire de grandes choses, en supposant qu’il fasse un pape à son gré et au gré de ses amis. » En effet, c’était une nouvelle partie à jouer ;