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des Romagnes ou punir les rebelles, le voilà de nouveau sur la scène ; il renaît à l’espérance. Giustiniani, l’ambassadeur de Venise, qui l’observe attentivement, — car la république convoite Rimini et les Salines, — vient lui rendre hommage et écrit au sénat : « Le duc n’est pas aussi mal qu’on le croit ; il parle avec arrogance et dit que bientôt il rentrera en possession de tous ses états. » César, en effet, croyait avoir vaincu la destinée et paré le coup ; les nouvelles des Romagnes étaient bonnes ; les villes restaient paisibles et celles qui se levaient étaient domptées ; Cesena, sa capitale, lui envoyait même des ambassadeurs qu’il recevait en roi, les renvoyant chargés de présens. En somme, on lui revenait de toute part ; c’est à ce point que son cruel ennemi, Julio Orsini, fit un accord avec lui, et que Pie III, remettant les choses juste au point où elles étaient au moment de la mort d’Alexandre, lui accordait de partir pour sa quatrième campagne. Le pontife expédia même un bref aux Florentins pour leur demander passage pour l’armée de César, « qu’il aimait tendrement, paternellement, dit le bref, à cause de ses qualités rares et supérieures. » Au fond, malgré les apparences, sauf le pape et ses peuples des Romagnes, tout le monde le trahissait : on s’était réjoui de sa chute et on craignait sa résurrection. Les Florentins répondaient en amis, mais sous main ils ordonnaient à Machiavel de se rendre à Rome avant le départ du duc et de l’arrêter à tout prix. Les barons romains avaient bien signé un accord avec lui, mais ils étaient décidés à ne pas l’observer ; quant aux Vénitiens, s’ils avaient cessé leurs tentatives sur Rimini et Cesena : c’est qu’ils avaient compris que les peuples des Romagnes ne voulaient pas de leur joug. En attendant, embusqués à Ravenne, ils encourageaient deux des ennemis de César, Bartolomeo Alviano et Baglioni de Pérouse, et ceux-ci, d’accord avec l’ambassadeur d’Espagne et les Orsini, formaient une armée solide pour l’attaquer, le bloquer dans Rome et s’emparer de sa personne. Dix jours après sa rentrée dans la ville, ses ennemis signaient le traité offensif et défensif, où il était nettement stipulé qu’on poursuivrait le duc des Romagnes « jusqu’à la mort. » L’Espagne était entrée dans la ligue ; Gonzalve de Cordoue, qui la représentait à Naples, promulgua un édit défendant aux capitaines de Castille de servir sous la bannière de César, et leur enjoignit de se rallier à lui pour arrêter Louis XII dans sa marche sur Naples. C’était un coup porté aux bandes du Valentinois ; Ugo de Moncade, avec la fleur de ses braves, allait l’abandonner. Borgia fut beau joueur : il souhaita la victoire aux transfuges qui allaient rejoindre son ennemi et combattre pour le roi. Cependant, le traité fait entre l’Espagne, Alviano, Baglioni et Orsini s’exécutait ; chaque jour, par bandes détachées, des hommes d’armes entraient dans Rome ; autour du palais de Saint-Clément, où logeait