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délire de la fièvre qui l’agitait, n’a pas roulé dans son cerveau cette pensée terrible ? Cependant il part ; il va jusqu’à Népi sur les épaules de ses archers, de là, il intrigue avec le collège ; mais ses menées seront vaines ; la France, l’empire et l’Espagne ont leur candidat. Les Espagnols, qui ont assez de force pour s’opposer à l’élection d’un ennemi, n’en ont pas assez pour faire un pontife. Borgia a compris la situation ; il s’entend avec l’évêque de Chiusi, qui va devenir l’âme de l’intrigue et susciter une candidature de transition : celle de Piccolomini. Le vieillard a un pied dans la tombe, mais il ceindra la tiare parce qu’il s’engage à confirmer le Valentinois dans ses charges et dignités. Le conclave, ouvert le 16 septembre, est clos le 22 ; dès le lendemain de son élection, Pie III donne des gages. Bonafede reçoit sa récompense et est nommé gouverneur de Rome ; le 23, l’ambassadeur de Venise, venu à l’audience, s’entend reprocher par le pontife l’attitude de la république à l’égard des Romagnes qu’elle convoite : et quand le cardinal Della Rovère, de son côté, tente de faire rendre Sinigaglia à son neveu, ou quand Riario demande la réintégration des Sforza à Imola et à Forli, où César règne, le nouveau pontife défend énergiquement les droits du Valentinois. Il envoie même un légat à Pérouse pour dissiper la ligue qui se forme entre les ennemis du duc et expédie des commissaires dans les Romagnes pour prescrire à tous l’obéissance. Rien n’est perdu pour César, puisque Pie III est son allié ; il va employer la ruse, et, par l’organe des cardinaux espagnols, demander le droit de rentrer dans Rome. Pour arriver à leur but, ceux-ci le représentent comme misérable, ruiné par la maladie et près de sa fin ; et, en effet, la fièvre le mine. L’ambassadeur de Ferrare (car Este aussi le trahit : qu’est-ce que Lucrèce Borgia sans l’appui d’Alexandre ? ) proteste auprès du pontife contre l’idée du retour de César. Le vieillard qui porte la tiare est attendri : « Je n’aurais jamais cru, dit-il à l’ambassadeur, que j’en arriverais à sentir de la commisération pour un tel homme, et cependant ma pitié est profonde. Les cardinaux espagnols intercèdent pour lui : ils me disent qu’il n’a plus de chances de recouvrer la santé et qu’il désire venir mourir à Rome. Je lui accorde l’autorisation qu’il demande. » César rentre, en effet, le 3 octobre avec 150 chevaux et 500 fantassins ; il avait dû envoyer une partie de ses troupes à Louis XII avec La Mirandole et Trivulzio, et, au cours des événemens, son armée commençait à se débander. Les cardinaux Sforza, Rohan, San-Severino et d’Albret rentraient avec lui ; il fut habiter le palais de Saint-Clément, encore malade, livide, obligé de se faire porter sur les épaules de ses gardes.

Après vingt-neuf jours d’absence employés à intriguer et à envoyer ses fidèles réconforter ses capitaines qui tiennent les villes