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qu’à celles des intérêts d’ici-bas : qu’ils laissaient là leur chaire et leur peuple pour courir de province en province, guettant les marchés où s’offrait quelque affaire et quelque gain. Tandis que leurs frères mouraient de faim dans leur église, ils tâchaient de faire beaucoup d’argent, d’attraper des fonds de terre par de mauvaises manœuvres, de grossir leurs revenus à force de placemens. Au-dessous des évêques, il y avait encore des honneurs enviés ; chaque évêque était entouré d’un conseil d’anciens, associés en quelque sorte à sa dignité ; ils avaient un traitement régulier, une sportule qui leur était payée tous les mois. Il en était de même des diacres et sous-diacres et des lecteurs. Les premiers étaient des jeunes gens, chargés de fonctions actives ; ils distribuaient le pain et le vin de la communion et les aumônes ; ils visitaient les malades ; ils faisaient les messages de l’évêque et portaient ses lettres ; car en ces temps-là il n’y avait pas de poste au service des particuliers. Les autres faisaient dans l’assemblée la lecture des textes saints, qui avait besoin alors d’être faite d’une manière intéressante, puisque la langue dans laquelle se lisaient ces textes était le latin, c’est-à-dire la langue de tous. Ces places étaient, comme toutes les places, recherchées et disputées ; on les accordait en récompense de services rendus, et principalement du premier de tous les services, qui était de souffrir pour la cause. On voit par une lettre de Cyprien que tel qui avait mérité le traitement des anciens, et à qui son âge ne permettait pus encore de conférer ce titre, pouvait recevoir, en attendant, le traitement qui y était attaché, tout en remplissant de moins hautes fonctions. Tout cela montre assez que l’association chrétienne était riche, et organisée de manière à constituer déjà un état, sinon dans l’état, du moins à côté de l’état. Cette association, tout le monde la connaissait, sans la reconnaître au sens que nous donnons à ce mot. Tout le monde savait ce que c’était qu’un évêque, un ancien, un diacre, et se servait de ces dénominations.

Mais Cyprien était à peine évêque que la persécution éclata. Ce mot, qui est simplement le mot latin répondant à poursuite, exprime particulièrement les poursuites contre les chrétiens. Celles-ci n’étaient pas chose nouvelle. Dès que l’association chrétienne commença de paraître, on la jugea malfaisante, animée de sentimens contraires à l’esprit du peuple romain et des Césars. Elle fut dès lors en butte à la haine du peuple et au mauvais vouloir des puissans. Cependant il semble que jusqu’au milieu du IIe siècle, on la croyait plutôt malintentionnée que dangereuse et qu’on ne s’appliquait pas sérieusement à l’empêcher de se développer. Alors seulement on se mit à frapper, non pas encore les chrétiens en général, mais ceux qui faisaient trop de bruit et attiraient sur eux