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de la beauté du corps et de la laideur morale, car la réputation de César n’est plus à faire. Les femmes l’admirent, elles aiment à dompter les fauves, et il exerce sur elles une action extraordinaire. On dit de lui ce que Gaspard de Vérone a dit de son père : « Dès qu’une belle femme s’offre à ses regards, il sent un désir d’aimer qui est incroyable, et il l’attire à lui avec plus de force que l’aimant attire le fer. » C’est un don de famille ; Lucrèce aussi avait le charme. Elle avait séduit nos rudes soldats de Fornoue et, tâche moins facile, désarmé Isabelle d’Esté, sa belle-sœur, qui la jalousait et qui s’était promis de la perdre. Que César fût bien de sa personne, élégant, d’un séduisant aspect, on n’en saurait douter en face des témoignages de la plupart des envoyés des puissances auprès du Vatican. Mais là encore, par une fatalité qui s’attache au nom des Borgia et par le fait de la réaction qui s’est produite à leur mort ou des haines qu’ils inspiraient de leur vivant, il est impossible de donner la preuve de la beauté physique du fils d’Alexandre par l’existence d’un portrait authentique. On arrivera peut-être un jour à prouver que la fameuse représentation de la galerie Borghèse, un des portraits les plus psychiques qui soient au monde, est vraiment l’image de César ; mais un point reste irréfutable : l’œuvre est postérieure à l’existence du modèle de près de trente années. Il ne faudrait donc voir là qu’une interprétation ou une « restitution » d’après des documens aujourd’hui perdus. Forli, Imola, Bergame, Como, Milan, et la galerie Hope en Angleterre, opposent à la séduisante image du palais Borghèse d’autres peintures (contemporaines ou à peu près), toiles, miniatures ou panneaux, qui n’offrent nul point de contact décisif avec elle. De sorte qu’en face des œuvres des artistes du temps, on éprouve le même embarras qu’en lisant les témoignages contradictoires des historiens et ceux des contemporains de César.

Au physique aussi bien qu’au moral, il semblait difficile de calomnier le fils d’Alexandre ; Paul Jove y a réussi : en trois lignes il a donné des armes à tous les biographes des XVIIe et XVIIIe siècles. « Son visage, dit l’auteur des Bibliographies des hommes illustres, était défiguré par des rougeurs et des pustules ; ses yeux, très enfoncés, au regard cruel et venimeux, semblaient jeter des flammes. » L’assertion est étrange en face des témoignages contraires ; mais comme elle vient d’un historien contemporain, d’un évêque qui a pratiqué le Vatican et, sinon connu César, au moins vécu dans ses alentours, il faut tenter de l’expliquer, tout en montrant que, de sa part, elle est doublement contradictoire. Paul Jove, dans les premières années du XVIIe siècle, avait formé dans sa belle maison de Côme, où elle n’est pas encore entièrement dispersée, une collection célèbre dans toute l’Italie, sous le nom de « Museo Joviano. » Au milieu de marbres antiques, de fragmens d’architecture, de manuscrits, de