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au milieu des imprécations publiques, ces regrets et ces éloges, qui ont leur prix, — car ils ne viennent pas tous de ses cliens et de ses amis, mais aussi de ses plus cruels ennemis.

Ce qui ressort de nos investigations dans les dépôts d’archives des villes des Romagnes, de la lecture de la correspondance administrative de César, et même de la tradition locale, vivante encore aujourd’hui pour les hommes d’étude, c’est que son mode de gouvernement convenait aux populations des Romagnes. Un écrivain de Pesaro, Carlo Cinelli, conclut ainsi : « Cette région était peut-être celle où César devait être le plus craint et le mieux aimé. Ses façons de faire, son système de gouvernement franc, net, rapide, cruel au besoin, correspondait peut-être au caractère net et hardi de ces énergiques populations des Romagnes. Et là certainement, plus que partout ailleurs, il mit de l’ardeur à réorganiser l’administration des pays conquis, à y établir un gouvernement solide, ferme, une justice d’une exécution rapide et parfois terrible. » Machiavel conclut de même : « Quels que fussent les moyens employés, il avait réussi à pacifier et à unir ce pays avec plus de sécurité qu’il ne l’avait été jusque-là. » Depuis Sinigaglia jusqu’aux portes de Bologne, partout où il entre en vainqueur, son premier soin est d’organiser « bonne et prompte justice. » Nombre de lettres autographes réclament pour ses sujets la rapidité dans les décisions judiciaires. Il frappe en haut et en bas, il donne satisfaction au peuple, qui ne connaît plus l’arbitraire. Sous un tyran nouveau, c’était bien, comme César lui-même se plaisait à le répéter, « l’extinction de la tyrannie[1]. »

Cependant, si on lui laisse les traits qu’il a dans l’histoire, il est impossible de réhabiliter César Borgia. Il y a du monstre en lui ; à côté des Sforza, des Malatesta et des Médicis, avec quelques-unes de leurs vertus politiques et de leurs visées hautes, il offre quelque chose de plus décidé dans le crime, il y apporte une résolution plus froide et une impassibilité supérieure. Sa personne aussi parle plus à l’imagination ; elle est unique et rare ; l’historien allemand a raison de le comparera une plante vénéneuse ; plus subtil est le poison qu’elle distille, plus éclatante est la couleur de son feuillage. En face de son élégance, un peu prétentieuse et bizarre, on pense aux bijoux de la renaissance, qui renferment dans une perle « la cantarella » qui tue sans laisser de trace. Précieux, raffiné, plein de contrastes, il y a dans le fils d’Alexandre quelques-uns des

  1. « In primis quod ipso illustrissimus Princeps et Dominas noster dignetur populum ipsum et civitatem Imolæ cum toto ejus districtu et comitatu, cum justicia et misericordia agere et gubernare ac régi et gubernari facere et committere, et eumdem populum et comitatum in pace conservare et a bello et guerra ipsum tueri, defendere manu tenere. » (11 mars 1500. Archives de la ville d’Imola. — Sottomissioni.)