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d’Albret, sœur du roi de Navarre. Le fils d’Alexandre, dans son écusson, accouplera les lis de France au bœuf des Borgia, et, dans son costume more gallico mêlera le velours cramoisi à la soie jaune, nos couleurs royales ; enfin, il signera : César Borgia de France. Le cardinal de Valence, rentré dans le siècle, a fait place au Valentinois.

III.

C’est le jour où César, l’assassin de Gandia, a couronné son crime par la renonciation à la pourpre, qu’il a passé le Rubicon. A partir de ce moment, ses destinées tragiques s’enchaînent avec une logique implacable. Il avait rêvé toutes les gloires, conçu toutes les espérances ; après avoir touché un instant le but, il subira toutes les déceptions, même dans la postérité. Alors que Machiavel voit en lui un homme de génie, à l’heure qu’il est, quelques historiens modernes, et le premier de tous parmi ceux qui ont essayé de pénétrer son caractère pour porter un jugement définitif, le regardent comme un aventurier. « Aux jours de décadence de la république romaine, dit Gregorovius, César aurait pu s’élever au rang d’un homme éminent dans l’histoire. Dans l’âge qui le vit naître, sa terrible ambition ne l’amena cependant pas à rayonner au-delà du cercle des états de l’église : s’il avait été doué d’une grande âme, il eût pu sortir de ces étroites limites ; mais il lui manquait la puissance créatrice qui est le partage de la grandeur morale. Il resta donc attaché au pontificat de son propre père. Il naît et meurt avec lui, c’est un fruit démesuré du népotisme. Le développement de sa puissance fut rapide et véhément, comme celui d’une plante vénéneuse ; il n’embrasse qu’une période de trois années seulement. » Le portrait est juste par bien des côtés ; on sent, dans ces lignes, la protestation d’un historien qui a assis sa conviction sur une étude approfondie et ne veut point être la dupe de l’imagination. Quoi qu’on fasse cependant, et sans jamais oublier les voies horribles par lesquelles il a passé, il est évident qu’à peine à l’âge viril, César a conçu un rêve grandiose, et, pour le réaliser, sous le soldat de proie et le bandit de haut vol, il y avait un politique avisé, servi par une énergie extraordinaire. Ce qu’on n’a pas assez dit, et ce dont il ne faut plus douter après avoir dépouillé les témoignages contemporains laissés à Pesaro, à Forli, à Imola, à Cesena, à Paenza, partout en enfin où il a régné pendant trois années, c’est qu’il y avait aussi en lui un administrateur habile, qui fut même un maître regretté : de sorte qu’à côté d’actes frénétiques, de meurtres avérés, d’un mépris constant des lois humaines et divines, il y a aussi quelques bienfaits. Ainsi s’expliquent, le jour de sa chute,