Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/342

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tsintsare. On en trouve jusqu’à Vienne et à Pesth, où on les considère comme des Grecs, parce qu’ils professent le rite oriental et qu’ils sont dévoués à la nationalité grecque. Cependant ils sont de sang roumain et proviennent de ces Valaques qui vivent du produit de leurs troupeaux, en Grèce, en Thrace et en Albanie. En dehors de leur pays d’origine, ils sont dispersés dans tout l’Orient. Presque nulle part ils ne sont assez nombreux pour former un groupe à part, sauf dans le village de Slovik, près de Tuzla, en Istrie, près de Monte Maggiore et du lac de Tchespitch, et dans quelques autres localités. Leurs habitations et leurs jardins sont beaucoup mieux tenus que ceux de leurs voisins. Ils sont entre eux d’une probité proverbiale. Ils adoptent le costume et la langue du pays qu’ils habitent ; mais ils ne se mélangent pas avec les autres races. Ils conservent un type à part très reconnaissable. D’où viennent ces aptitudes spéciales qui les distinguent si nettement des Bosniaques musulmans et chrétiens, au milieu desquels ils séjournent ? Ce sont évidemment des habitudes acquises et transmises héréditairement. On ne peut les attribuer ni à la race, ni au culte, car leurs frères de la Roumanie, de même sang et de même religion, ne les possèdent nullement jusqu’à présent. Quel dommage qu’il n’y ait que quelques milliers de Tsintsares en Bosnie ! Ils contribuent encore plus que les juifs à l’accroissement de la richesse, parce qu’ils sont, outre de fins commerçans, d’admirables travailleurs.

On me parle beaucoup d’une dame anglaise fixée à Serajewo, depuis quelques années, miss Irby. Elle habite une grande maison au fond d’un beau jardin. Elle s’occupe de répandre l’instruction et l’évangile. La tolérance que lui avait accordée le gouvernement turc lui est continuée par l’Autriche. Non loin de là je vois un dépôt de la Société biblique. Son débit n’est pas grand, car presque tous les gens d’ici, même ceux qui ont quelque aisance, vivent dans une sainte horreur de la lettre moulée. Miss Irby a créé un orphelinat où se trouvent vingt-trois jeunes filles de l’âge de trois à vingt-trois ans, dans une maison, et sept à huit garçons dans une autre. Les plus âgées donnent l’instruction aux plus jeunes. Elles font tout l’ouvrage, cultivent le jardin et apprennent à faire la cuisine. Elles sont très recherchées en mariage par des instituteurs et de jeunes popes. Petite, mais bonne semence pour l’avenir.

M. Scheimpflug me fait visiter la famille et la maison où il a un appartement. Ce sont des négocians du rite orthodoxe, qui sont, dit-on, très à l’aise. La maison est en pierre, bien blanchie et à deux étages ; les fenêtres du rez-de-chaussée sont protégées par d’épais barreaux de fer, assez forts pour résister à un assaut. Une grande porte cochère donne accès de la rue à une cour le long de laquelle