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livre, pas un imprimé, nulle culture de l’esprit. Elles passent leur vie, comme les musulmanes, à fumer des cigarettes, à broder, à bavarder entre elles. Presque jamais elles ne sortent ; mais elles s’occupent davantage de leur ménage, car les maris tiennent beaucoup plus que les begs à faire bonne chère.

Le musulman et le juif font les affaires d’une façon complètement différente. Le premier n’est pas âpre au gain ; il attend le client et si nul n’achète, il ne le regrette pas trop, car il garde ses marchandises, auxquelles il s’attache. Le second fait tout ce qu’il peut pour attirer l’acheteur. Il lui adresse les plus beaux discours, il lui offre son meilleur café et ses cigarettes les plus parfumées ; il ne songe qu’à vendre pour racheter, car il faut que le capital roule. Voyez les, l’un et l’autre, assis au café : le musulman est plongé dans son kef ; il jouit de l’heure présente : il est content du loisir qui lui procure Allah ; il ne pense pas au lendemain ; l’œil vague et fixe trahit un état de rêve presque extatique ; il atteint aux félicités de la vie contemplative, il est aux portes du paradis. Le juif a l’œil brillant, agité ; il cause, il s’informe, il veut savoir le prix des choses : l’actuel ne lui suffit jamais ; il songe à s’enrichir toujours davantage ; il groupe en sa tête les circonstances qui amèneront la hausse ou la baisse et il en déduit les moyens d’en profiter. Certainement il fera fortune, mais qu’en fera-t-il ? Qui des deux a raison ? Peut-être bien le musulman. Car à quoi bon l’argent, si ce n’est pour en jouir et pour en faire jouir les autres ? Mais dans ce monde, où le struggle for life de la forêt préhistorique se continue dans les relations économiques, celui qui agit et prévoit élimine celui qui jouit et rêve. Si l’on veut connaître l’israélite du moyen âge, ses idées, ses coutumes, ses croyances, c’est ici qu’il faut l’étudier.

Il existe encore en Bosnie une autre race très intéressante, que j’ai rencontrée dans toute la péninsule. Elle est aussi active, aussi économe, aussi entreprenante que les juifs et en même temps plus prête à travailler de ses bras. Ce sont les Tsintsares, qu’on appelle aussi Kutzo-Valaques (Valaques boiteux) ou Macédoniens. On les trouve dans toutes les villes où ils font le commerce, et dans les campagnes où ils tiennent les auberges, comme les juifs en Pologne et en Galicie. Ils sont d’excellens maçons et les seuls, en Bosnie, avant l’arrivée des muratori italiens. Ils sont aussi charpentiers, et exécutent avec une grande habileté les travaux de menuiserie. Ce sont eux, dit-on, qui ont construit tous les bâtimens importans de la péninsule : églises, ponts, maisons en pierre. On vante aussi leur goût dans la confection des objets de filigrane et d’orfèvrerie. Quelques-uns d’entre eux sont riches et font de grandes affaires. Le fondateur de la fameuse maison Sina de Vienne était un