Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

car c’est bien ici qu’on peut considérer l’état comme un instrument de progrès. Pas un seul avocat. Les Turcs les détestent, parce que le Koran condamne ceux qui « interviennent dans les affaires d’autrui avec subtilité et ruse, et tout individu de cette espèce doit être banni de la bonne société. » Sous le rapport des cultes, la population se divise en 496,761 chrétiens du rite oriental, 209,391 du rite catholique, 448,613 mahométans et 3,420 juifs. L’armée d’occupation compte de 25,000 à 30,000 soldats, et la gendarmerie environ 2,500 hommes. Voulez-vous savoir ce qu’on consomme ici de sucre et de café ? La statistique nous l’apprend : 1 kilogramme de l’un, et 1/2 kilogramme de l’autre, par tête. C’est très peu. Le chiffre correspondant est pour le café de 7 kilogrammes en Hollande, de 4,25 en Belgique, 4 aux États-Unis, 3 en Suisse, 2,50 en Allemagne, 1,50 en France ; pour le sucre, en Angleterre, 30 kilogrammes, aux États-Unis 20, en France 13, en Hollande 11, en Allemagne, en Suisse, en Belgique 8, en Autriche-Hongrie 5,5. Mais il faut se rappeler que les musulmans, les juifs et quelques commerçans du rite oriental ont seuls assez d’aisance pour se permettre ces consommations de luxe.

M. Scheimpflug me présente à l’archevêque catholique, Mgr Stadler. Je lui communique les « lettres-patentes, » c’est-à-dire ouvertes, lilterœ patentes, que l’évêque Strossmayer m’avait données pour tous les ecclésiastiques de la péninsule[1], et il nous retient à dîner. La mission que ce prélat peut remplir est importante ; celle qu’on lui attribue l’est plus encore ; car on prétend qu’il est envoyé ici spécialement pour ramener les chrétiens du rite oriental dans le giron de l’église romaine. Sa position est des plus délicates ; sa nomination n’a pas satisfait même tous les catholiques. C’est aux prêtres de l’ordre des franciscains qu’on doit le maintien de l’église catholique dans ces régions, malgré quatre siècles de compression et de persécution. C’est à eux manifestement que revenait l’autorité. Les premiers au combat, ils devaient être les premiers à l’honneur. L’influence de Pesth les a écartés, parce qu’ils étaient soupçonnés de partager trop ardemment les idées slavophiles de Diakovo. Pour le même motif, on n’a pas voulu nommer Strossmayer, qui,

  1. Comme elles pourront peut-êtreo à l’avenir m’ouvrir plus d’une porte où l’économiste trouvera à s’instruire, je demande la permission de les transcrire : « Lilteræ patentes quibus illustrissimum et docliasimum virum, œconomicarum disciplinarum egregium in Belgio professorem, Emilium Laveleye, omnibus ad quos eumdem venire contigerit, impendissime iterum iterumque commendamus, omne charitatis et benevolentiæ officium ei exhibitum considérantes quasi nobismet ipsis exhibitum fuisset. Datum Diakovo, 28e mays 1883. — Josopbus Georgius Strossmayer, Episcopus Bosniensis et Syrmiensis. »