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C’est surtout à favoriser les progrès de l’agriculture que le gouvernement doit viser. Les maîtres d’écoles à qui l’on donnerait des notions d’économie rurale pourraient en ceci rendre de grands services. Ce qui aurait un effet plus immédiat serait d’établir dans chaque district, sur les terres de l’état, des colons venus des provinces autrichiennes où la culture est bien entendue. Pour ouvrir les yeux aux paysans, rien ne vaut l’exemple. Ah ! si les pauvres contadini italiens qui meurent de faim et de pellagra, de l’autre côté de l’Adriatique, pouvaient être transportés ici, comme leur travail serait bien récompensé ! Comme ils se créeraient facilement un petit podere qui leur donnerait l’aisance et la sécurité ! En tout cas, faites des propriétaires indépendans et libres, et la Bosnie deviendra, comme la Styrie, la Suisse et le Tyrol, l’une des plus charmantes régions de notre continent.

Dans toutes les villes de garnison de l’Autriche-Hongrie, on rencontre un casino militaire ; institution excellente, assez semblable aux clubs de Londres. Les officiers y trouvent un cabinet de lecture un restaurant soigné et à bon marché, un café, une salle de concert et un lieu de rendez-vous. L’esprit de corps s’y développe, et l’esprit de conduite y est maintenu par la surveillance réciproque. Le casino de Serajewo occupe un grand bâtiment nouvellement construit, d’un style simple, mais noble. Devant la façade, dans un petit square, des arbustes poussent au milieu de pierres tombales d’un cimetière turc que l’on a respecté, et de l’autre côté s’étend un grand jardin dont les plantations vont jusqu’à la jolie rivière qui traverse la ville, la Miljaschka. C’est un endroit charmant pour venir se reposer sous de frais ombrages. M. Scheimpflug m’amène dîner au Casino. J’y rencontre beaucoup de jeunes fonctionnaires civils : entre autres le chef de la police, M. Kutchera, qui doit viser mon passeport. La plupart sont des Slaves : Croates, Slovènes, Tchèques et Polonais. C’est un grand avantage pour l’Autriche de trouver ainsi chez elle toute une pépinière d’employés de même race et plus ou moins de même langue que celles des pays à assimiler. Bon dîner avec cette excellente bière viennoise qu’on brasse déjà ici. Comme l’empire de Gambrinus, le dieu de la cervoise, s’est étendu depuis trente ans ! Jadis on ne buvait guère de bière dans aucun pays au sud de la Seine ni même à Paris. Aujourd’hui le bock règne en souverain dans toutes les villes françaises, en Espagne, en Italie, et voilà qu’il va conquérir la péninsule des Balkans. Faut-il encore en ceci saluer le progrès ? J’en doute. La bière est une boisson lourde et inférieure au vin ; elle se boit longuement, lentement, servant de prétexte aux conversations prolongées aux nombreux cigares et aux veillées oisives.

L’après-midi, magnifique promenade à la vieille citadelle, qui,