elle mettra aussi sa confiance dans les formules sacrées et dans la force brutale ; mais ni dans ces formules, ni même dans la force il n’y aura plus de vertu.
Revenons à Cyprien : c’est le représentant le plus imposant qu’ait eu l’église encore libre, supérieur par cela seul à ceux qui l’ont illustrée seulement quand elle était à la fois dominante et protégée. Avant lui, il n’y a eu qu’un personnage qu’on puisse lui comparer, c’est Tertullien ; mais Tertullien est un combattant isolé, qui a servi sa cause comme un homme de la presse sert aujourd’hui la sienne ; Cyprien est un évêque, c’est-à-dire à la fois un chef de parti et un homme de gouvernement. Il avait charmé d’abord et il s’était fait admirer comme un artiste en beau langage, puis tout à coup il s’est trouvé qu’il tenait tout un peuple dans sa main.
Ce n’est pas sa foi toute seule qui l’a transformé ainsi, car sa première composition chrétienne n’est guère encore qu’un beau morceau de rhétorique : c’est la persécution qui a fait éclater son génie. Il l’a trouvée devant lui au moment même où il devenait évêque, et c’était la première de celles qu’on a appelées les grandes persécutions. Elle le ménage d’abord et il n’est pas atteint lui-même ; il n’en est pas moins le guide et l’âme des persécutés. Il a le premier rôle au moment même où il semble s’être effacé. Il excite les combattans, il glorifie les braves, il ménage les faibles en même temps qu’il défend le grand nombre de la contagion de leur faiblesse. Il fait si bien qu’au moment où on croirait son église anéantie, on la sent pleine de vie dans ses discours et triomphant de ses blessures.
La persécution passée, un autre danger menace : c’est la discorde de la communauté chrétienne, qui semble pouvoir en amener sans violence la dissolution. Mais Cyprien est là, et cette fois il paie constamment de sa personne. Par la volonté, par le courage, par une politique adroite, il vient à bout de toutes les difficultés. Son secret est surtout sa foi en son autorité et en lui-même. Il ne s’effraie ni des insultes ni des violences, ni même de ce qui trouble souvent davantage, je veux dire ces premiers mouvemens dont on ne mesure pas la portée, ce courant de nouveauté qui entraîne d’abord les esprits et qui semble pouvoir les mener bien loin. Dans cet abandon, il ne s’est pas abandonné, il a su attendre et, par cela seul, tout s’est rassis autour de lui, et c’est ce désordre qui s’est trouvé n’être qu’une apparence d’un moment. La force des choses est avec lui et il la personnifie pour ainsi dire. Il sait d’ailleurs aussi, en dehors de son église, reconnaître la force là où elle est et l’associer à la sienne. Il arrive ainsi à être tout-puissant par la seule puissance de l’opinion.