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paraître comme martyr devant le Seigneur ; puisque, quant à moi, j’ai toujours souhaité, et pour moi et pour vous, de confesser et de souffrir au milieu de vous, et de partir de là pour aller au Seigneur, et que ç’a été l’objet de toutes mes prières et de tous mes vœux, aussi bien que mon devoir. J’attends donc ici, dans une retraite cachée, que le proconsul de retour arrive à Carthage pour entendre de sa bouche les ordres de l’empereur au sujet des chrétiens, laïques ou évêques, et pour lui répondre selon que le Seigneur voudra à l’heure même que je réponde.

« Pour vous, frères bien-aimés, suivant la règle que je vous ai toujours prescrite d’après les commandemens du Seigneur, et ainsi que je vous l’ai toujours enseigné dans mes discours, tenez-vous calmes et tranquilles ; qu’aucun de vous ne provoque un mouvement parmi ses frères, ou n’aille de lui-même se livrer aux gentils. C’est quand il est arrêté et conduit au magistrat qu’il doit parler, si toutefois le Seigneur, qui réside en nous, parle à cette heure ; car il veut que nous confessions notre foi, non que nous la professions (avec éclat). Quant à la conduite que vous devez observer d’ailleurs, je compte, avant que le proconsul prononce ma sentence sur ce que j’aurai confessé le nom de Dieu, régler tout par des instructions générales sous l’inspiration du Seigneur. Que le Seigneur, frères bien-aimés, daigne vous maintenir et vous conserver à l’abri de toute atteinte dans son église ! »

Le récit de Pontius paraît contredire cette lettre, car voici comment il s’exprime (no 14) : « Cependant la nouvelle était venue de la ville de la mort de Xyste, ce pieux et saint prêtre, et pour cela même bienheureux martyr. Ici on attendait tous les jours le bourreau qui devait frapper la victime marquée pour le sacrifice, et toutes ses journées étaient tellement remplies de l’attente de la mort, que chacune semblait lui apporter la couronne. En attendant, il voyait venir chez lui un grand nombre d’hommes du premier rang et de la plus haute naissance, revêtus même de tout ce qui fait la noblesse du siècle, qui, en souvenir d’une ancienne amitié, l’engageaient à se dérober, et, ne voulant pas s’en tenir au simple conseil, lui proposaient des asiles. Mais il avait déjà oublié le monde, son âme étant tout attachée au ciel, et il ne" se laissait pas aller à ces conseils complaisans. Il eût fait peut-être encore une fois ce que lui demandaient aussi tant de fidèles, si un commandement divin le lui eût ordonné. Mais il ne faut pas laisser passer sans le signaler ce trait éclatant dans un si grand homme, qu’au moment même où le siècle se déchaînait et, s’abandonnant à ses princes, ne respirait[1]

  1. C’est-à-dire les consulats et autres dignités.